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Je m’arrête… Je ne vais pas entreprendre, n’est-ce pas, la théorie du vers libre.

Je me contenterai de vous signaler, brièvement, deux forme particulières du vers libre ; l’une est le verset ; Claude1 en a donné un magnifique exemple ; l’autre, c’est une tentative, — une tentative personnelle… J’ai cherché une forme infiniment souple qui puisse, selon le mouvement intérieur, s’allonger en quasi-prose ou se serrer en vers nettement ritmés. Vous en trouverez l’essai, non pas dans Antonia (où il n’existe qu’à l’état de tendance), ni, bien entendu, dans Marthe et Marie, qui est une pièce en prose, mais dans les poèmes que j’ai publiés depuis la guerre et dans les deux pièces qui datent de ces dernières années, les Epoux d’Heur-le-port, et le Dieu mort et ressuscité, et qui paraîtront prochainement.

Comment dénommer ces « alinéas », qui tantôt ne sont aucunement des vers, et tantôt sont nettement des vers, et tantôt sont des vers en devenir ?

Evidemment, il y a là une formule qui échappe à la célèbre classification de M. Jourdain ; cette soi-disant prose n’est pas de la prose, pour cette raison qu’elle n’est pas établie suivant les règles de la pensée logique, mais suivant celles de la pensée poétique : seulement, elle ne se serre en un ritme précis que lorsque cela est nécessaire. Et c’est peut-être dans le drame qu’elle a son meilleur emploi.

L’erreur de l’ancien « drame en vers » est de mettre en vers les choses qui ne nécessitent pas le vers ; l’erreur du drame mêlé de prose et de vers, que quelques-uns ont essayé, est d’établir des cloisons entre les choses dites en vers et les choses dites en prose ; le vers doit comme monter de l’alinéa, à tout instant, au milieu d’une réplique, au milieu d’une phrase, si le mouvement intérieur le veut, et seulement s’il le veut.

La vraie pièce de théâtre, dit Georges Duhamel, mêle aux paroles sublimes les paroles les plus humbles ; elle ne cherche pas continuement l’expression essentielle à quoi tendent d’autres genres poétiques[1].

  1. Propos critiques, 112.