Page:Dujardin - De Stéphane Mallarmé au prophète Ezéchiel, 1919.djvu/64

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

taine. Le tour oratoire est également le péché mignon des romantiques, qui pourtant sont des lyriques ; mais, précisément, c’est quand ils ne sont pas lyriques qu’ils font de l’éloquence ; vous pouvez vérifier dans Hugo ; ses p1us mauvaises choses sont toujours des choses oratoires.

Baudelaire, vous disais-je, nous a délivrés de l’oripeau et nous a presque délivrés de la période et aussi du tour oratoire ; Mallarmé a parachevé la libération. Les romantiques étaient le plus souvent en étendue ; ainsi et mieux encore que Baudelaire, il est en profondeur ; chaque mot y est une puissance et résonne avec toutes ses harmoniques.

Un petit criterium : Le mauvais poète est celui qu’on lit tour à tour en ronronnant et en « déblayant » ; le poète précis, profond et concis ne se lit qu’avec le temps de la réflexion. Pour nous, nous ne voulons plus de la diction emphatique, tour à tour chantante et « déblayante », qu’on enseigne au Conservatoire ; nous voulons des artistes qui disent juste, sobre et tranquille, qui disent réel… Il est vrai que si les textes sont faux et déclamatoires, la chose ne va pas sans difficultés pour l’interprète…

Vers libre. — Le vers libre, enfin, me semble être l’instrument nécessaire de la poésie telle que je la comprends. Le vers libre, par définition, est un jaillissement, et c’est ce qui le distingue essentiellement du vers classique, romantique ou parnassien.

Le vers ancien, certes, est quelquefois un jaillissement ; ce n’est évidemment pas parce qu’il compte douze syllabes qu’il ne peut jaillir du réel et de l’âme…

Le jour n’est pas plus pur que le fond de mon cœur.

Mais rappelez-vous…

Toi dont ma mère osait se vanter d’être fille…

Je reviens à Moréas ; appréciez le jaillissement de ces quatre vers de son Iphigénie ; je vous donne ma parole d’honneur que je les cueille au hasard.