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Les mots garderont leur sens propre, leur sens concret, leur sens réel. Et l’on ne verra plus

Bercer des longs baisers etle vent du matin
Bercer des longs baisers et des adieux sans fin…

3o Restriction de la période. — De même que je demande la restriction de la métaphore, je demande la restriction de la période.

On appelle « période », vous le savez, la phrase à multiples incidentes savamment équilibrées, dont Cicéron en latin et, si vous voulez, Massillon en français ont donné l’exemple, et qui sévit, hélas, dans notre grand Hugo.

Et depuis Hugo ?… Rappelez-vous le vers de théâtre tel que l’écrivent les auteurs « Théâtre Français » et « Odéon »… Qu’est-ce, en réalité, sinon une prose semée de rimes, de métaphores et de chevilles ?

Baudelaire, qui nous a libérés de l’oripeau, nous a presque libérés de la période… Je dis « presque » ; car je trouve la phrase de Baudelaire trop cicéronnienne encore ; jugez de mon exigence !

Nous touchons ici la caractéristique profonde qui différencie la prose et la poésie.

La phrase à incidentes, la période convient à la prose, parce que la prose a pour objet l’exposition logique de la pensée. Elle ne convient pas à la poésie, parce que la poésie (je reprends les termes de Jules Romains) est « un jaillissement spontané du réel et de l’âme » ; il lui faut les images qui se réalisent en pleine réalité concrète ; il lui faut la phrase simple, d’un jet, avec un minimum de syntaxe et un maximum d’élan.

Le premier exemplaire de la phrase lyrique, c’est la chanson populaire, qui ne connaît ni métaphores ni périodes ; c’est, tout près de nous, le vers de l’Anneau de Nibelung ; c’est, très loin de nous, le livre… dont je vous parlerai tout à l’heure.

À la période j’accole, sous le même bonnet d’infamie, le tour oratoire.

Le tour oratoire est le péché mignon des classiques français ; pourquoi cela ? parce que les classiques français ne sont pas des lyriques, — sauf, bien entendu, des exceptions, par exemple La Fon-