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Claudel nous conte que son art est fondé sur la métaphore. La métaphore, dit-il, c’est « le mot nouveau, l’opération qui résulte de la seule existence conjointe et simultanée de deux choses différentes »[1].

Jacques Rivière, qui le commente, ajoute[2] :

La métaphore est la notation de la nouveauté, car elle est la notation d’un rapprochement fugitif jamais encore réalisé, une coïncidence première surprise et fixée. Faire une métaphore, c’est exprimer la rencontre de deux êtres dont les voies dans le reste du temps divergent.

Et, plus loin, il nous parle du « jaillissement intarissable des métaphores dans la poésie de Claudel… »

J’en demande pardon à Jacques Rivière, qui est un esprit d’une rare valeur, Claudel contient beaucoup d’images, énormément d’images, mais fort peu de métaphores. Jacques Rivière nous cite, précisément, un morceau débordant d’images, d’images de grand poète, où il n’y a pas une seule, pas une seule métaphore. Ecoutez plutôt (Tête d’or) :

La Muse parfois s’égare dans un chemin terrestre ;
Et profitant de l’heure, le soir, où ils mangent la soupe dans les
bouges,
La passante aux cheveux hérissés de lauriers marche nu-pieds, chantant
des vers, le long de l’eau,
Toute seule, comme un cerf farouche.

Je vous disais tout à l’heure que beaucoup d’écrivains ont le tort de confondre image et métaphore. C’est le procédé cher aux Bergsonniens. On dénomme métaphore ce qui est une simple image ; et l’on dit et l’on répète, en conséquence, que Claudel est le poète de la métaphore.

Pour en finir avec la métaphore, j’ai parlé, non pas de suppression, mais de restriction… Restriction à quoi ?

À ce qui se réalise.

Quel sera le résultat ?

  1. Connaissance du temps, Art poétique, 46.
  2. Etudes, 66.