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image est l’évocation d’une chose concrète ; une métaphore est le rapprochement de deux images (ou d’une image et d’une idée abstraite). Notre exemple « un torrent de larmes » est le rapprochement de deux images : celle d’un flux de larmes et celle d’un torrent d’eau. Gardons-nous donc de confondre métaphore et image, — et revenons à notre règle suprême : n’employer les mots que selon leur signification propre.

N’employer les mots que selon leur signification propre, cela est facile à dire ; mais les mots changent perpétuellement de sens ; et les mots ont presque tous plusieurs sens. Allons-nous essayer de remonter aux sens étymologiques ? Non seulement ce serait méconnaître la loi de transformation du langage, mais ce serait employer les mots dans des sens qui, très souvent, ne seraient plus compris ; et l’on écrit pour se faire comprendre.

Voici, par exemple, le mot « arriver » ; son sens ancien, son sens étymologique, son sens propre est « aborder une rive » ; il a passé depuis longtemps au sens dérivé et plus général où nous l’employons, et a perdu son premier sens.

Voici encore le mot « échouer » ; son sens ancien est celui d’un navire qui touche le fond ; mais il a pris depuis longtemps le sens dérivé et général de ne pas réussir, tout en conservant (au contraire du mot « arriver ») le sens primitif de toucher le fond.

Or, ces changements de sens, comment se sont-ils produits ?

Après avoir évité la métaphysique, allons-nous tomber dans la linguistique ? Je ne serai pas si sévère. Je me contenterai de renvoyer les personnes curieuses de ces questions à une excellente étude de M. Meillet, publiée dans l’Année Sociologique de 1904-1905. Vous y verrez qu’une des causes, parmi beaucoup d’autres, des changements de signification des mots peut se formuler ainsi : la langue commune emprunte ses mots aux langues particulières, aux langues des métiers, aux langues techniques, et, ce faisant, leur enlève la signification précise et rigoureuse qu’ils y avaient, pour leur donner sens plus général.

Les exemples seraient innombrables.

« Arriver » est un mot pris aux marins par les non-marins et généralisé ; de même « échouer ». Dans la langue du métier, les