Page:Dujardin - De Stéphane Mallarmé au prophète Ezéchiel, 1919.djvu/46

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une valeur et c’est cette valeur qui donne à la pensée la puissance de s’exprimer. Employer les mots selon leur signification, c’est les employer selon leur valeur, c’est les employer selon leur puissance. J’ai l’air d’enfoncer une porte ouverte ? Eh bien, il n’y a pas de vérité plus méconnue à la face du ciel !

Parmi les gens qui écrivent, seule une minorité, une infime minorité emploie les mots selon leur signification ; presque tout ce que nous lisons est de l’à-peu-près ; dans presque tout ce que nous lisons, les mots ont perdu leur puissance, leur valeur, pour cette raison qu’ils ne sont pas employés suivant leur signification.

J’arrive, messieurs, à la question de la métaphore ; contrairement à la formule habituelle, j’ai le regret de vous avertir qu’il me sera impossible d’être bref.


La métaphore. — Littré la définit :

« Une figure par laquelle la signification naturelle d’un mot est changée en une autre ; comparaison abrégée. »

Le Dictionnaire de l’Académie dit :

« Figure de rhétorique : espèce de comparaison abrégée, par laquelle on transporte un mot du sens propre au sens figuré. »

Dunan, cité par Littré, explique fort bien :

« La métaphore est une figure par laquelle on transporte la signification propre d’un nom à une autre signification qui ne lui convient qu’en vertu d’une comparaison qui est dans l’esprit. »

Quand je dis « un torrent de larmes », le mot « torrent » est une métaphore ; car sa signification exacte est changée en celle plus générale de flux, dans le but de comparer le flux des larmes qui coule des yeux, au torrent d’eau qui coule de la montagne.

La métaphore étant ainsi définie un changement de signification imposé à un mot dans un but de comparaison, vous devinez que je vois dans la métaphore le point subtil et infiniment dangereux par là faute de quoi, ou grâce à quoi l’écrivain va être amené à ne plus donner aux mots leur signification propre.

Prenons garde pourtant ; les gens de lettres dénomment fréquemment métaphore ce qui n’est qu’une image ; nous verrons tout à l’heure notre ami Jacques Rivière donner dans cette erreur. Une