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rechercher l’expression la plus nue, la plus dépouillée d’artifice et de rhétorique, la plus exactement collée à l’entrevision initiale de l’esprit[1].

Je note encore ces mots de Pierre-Jean Jouve :

Un art dénudé et sobre.

Je pourrais chercher à Jules Romains une petite querelle quant à son parti pris (excusable chez un novateur) de ne pas vouloir qu’il y ait eu d’expression « immédiate » avant l’Unanimisme. Racine, de toute évidence, est souvent discursif : mais il est quelquefois « immédiat », et l’intérêt est de montrer où et quand.

Mais cette définition de la poésie, « un jaillissement spontané du réel », voilà qui était assez impressionnant : impressionnant aussi, ce programme de « dénudement » et de sobriété.

Dans une conférence qui date de 1909[2], Jules Romains avait exposé que l’artiste doit opérer par « approfondissement de l’ordre interne des choses » ; que son œuvre doit être comme « une physionomie, c’est-à-dire ce qui du fond intime parvient à la forme, ce qui d’une âme aboutit à un visage ».

Le poète, le musicien, le dieu, dit-il, saisit les choses du dedans, par une connaissance immédiate qui est conscience et qui a la valeur d’un absolu. Le poète, le musicien, le dieu, au lieu de mesurer la surface et le poids des choses comme le savant, d’en associer les couleurs et les lignes comme le décorateur et la bouquetière, les possède, sans convention ni caprice, comme un homme possède sa haine ou son espoir.

Schopenhauer chantait-il quelque chose de très différent à l’idéalisme de nos jeunesses ?… Je me rappelle avec quelle joie j’ai salué ces déclarations, en 1909 ou plutôt en 1910… La poésie est la connaissance immédiate d’une âme… C’était, exactement, quant à moi, ce à quoi tendait mon inconscient ; c’était la formule de ce que mon inconscient avait cherché dans la légende d’Antonio[3].

  1. Ibid., 41
  2. Publiée dans Vers et Prose, tome XIX.
  3. Je suis reconnaissant à Paul Morisse de l’avoir dit, et très éloquemment, dans l’étude, beaucoup trop flatteuse, qu’il m’a consacrée tout récemment, dans les Pionniers de Normandie, janv.-févr. 1919.