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Je lisais récemment cette magnifique citation de Carlyle :

Une idée divine pénètre l’univers visible… À la foule cette idée est cachée… Les écrivains sont les interprètes choisis de cette idée divine.

Mallarmé ne nous a pas enseigné autre chose, et son œuvre en est l’admirable exemple. Mallarmé répétait volontiers que le but de la poésie est d’exprimer l’homme, non plus dans son individualité égoïste, mais dans ses réciprocités avec tout, et que la gloire consistait, non dans l’hommage extérieur qu’elle comporte, mais dans l’assentiment qu’elle est.

Le symbolisme mallarméen, en tant que doctrine littéraire, est donc, en premier lieu, idéaliste ; et, en cela, il rejoint un second caractère qui lui a été spécial : le symbolisme mallarméen a été, si je puis m’exprimer ainsi, musicien.

Musique. — La musique n’existait guère plus pour les romantiques et les parnassiens que pour les naturalistes : elle est pour eux un des « beaux-arts » que l’Etat a le devoir de protéger, mais dont, quant à eux presque tous, ils se fichent.

La musique s’est révélée à Mallarmé et aux symbolistes, non point comme un art de virtuosité, concerto piano et violon, gammes et acrobatie, mais comme la voix profonde des choses. Cette conception est celle de Schopenhauer ; vous savez que Schopenhauer distingue la musique des autres arts en ce que celle-ci donne, dit-il, l’idée de l’univers sans l’intermédiaire d’aucun concept ; elle exprime le monde en tant que Volonté, c’est-à-dire dans sa réalité profonde, tandis que les autres arts expriment le monde en tant que Représentation, c’est-à-dire dans son apparence. Les hommes de ma génération trouvèrent et vous retrouverez un magnifique développement de ces idées dans l’étude géniale que Wagner a consacrée à Beethoven et dont je publiai la première traduction française dans la Revue Wagnérienne.

Allez-vous m’accuser de manquer de modestie ? Je ne crois pas qu’il soit possible de faire l’histoire du symbolisme sans parler de la Revue Wagnérienne.

C’est précisément en 1885 que j’ai fondé la Revue Wagnérienne