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LA LEGENDE D’ANTONIA

Je veux errer à la merci des rives,
Dans l’indistinction des eaux vives.
 
Dormir est bon ;
L’oubli, c’est le pardon.
 
Être parut joyeux ; ne plus être est meilleur ;
Il sera doux, sentir sombrer le cours des heures ;
Il sera doux, s’envelopper de mortelles fleurs.
 
Oh ! je m’alanguis, je m’efface,
Le jour passe,
Le jour n’est plus le jour, la nuit n’est plus la nuit, la trace
De l’idée s’envole dans l’espace.

Ô mort spirituelle !
Félicité surnaturelle !
 
Dormir,
M’assoupir,
Dans le néant m’ensevelir.


L’Amante a écouté, muette, les récits de l’Amant ; tout entière à veiller sur lui, ce n’est qu’aux instants où la menace de son délire se tournait vers elle, où les cris déchaînés de sa passion lui rappelaient combien elle était aimée et combien non reconnue, où sa voix prophétique lui redisait les grandes choses accomplies et celles non accomplies, que, dans le trouble profond de son âme, elle s’est écartée de soutenir ses membres et sa tête, d’essuyer la sueur de son front.