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coulisse, parmi les répliques la voix du souffleur ; mais tôt je n’entendis les répliques ni le souffleur ; toute chose fait en l’âme un fond murmurant ; toute chose est un cadre à des pensées. »

… Assis, immobiles, ayant nos fronts penchés, point ne nous touchant, nous parlons, bas et lent, dans le silence…

— « Cette soirée est belle ; cette salle est lointainement illuminée : la foule est vague ; et ces fleurs sont jolies, ces plantes ; les voix sont murmurantes et mêlées ; les gens sont des ombres.

— « Je suis en cette ville pour la première fois ; je vins jadis en des pays proches : j’aime cette terre ; ces hommes sont bons ; l’étranger ici est hôte.

— « L’étranger est par nous amicalement admis ; nous croyons ; nous donnons nos mains à qui nous tend sa main ; notre maison est ouverte ; une place est fermée, que nous gardons ; mais notre table pour tous est.

— « Par fois sont des espérances certaines, par fois des anxiétés ; inévitablement et sans cause par fois on se connaît élu ; par fois on a des joies soudaines.

— « Hélas, que lointain est ce pays du pays dont vous venez ; là sont des mœurs nouvelles, des beautés autres ; ici vous arrivez en l’ignorement de nos simplicités ; hélas, que lointains seraient nos pays, oh, qu’ils seraient lointains sur la terre !

— « Ai-je quitté mon pays ? n’y demeurai-je pas ? je connais, j’ai eu ces choses, que de mes yeux fermés je veux voir, telles que je les sais.

— « Ainsi craignez venir, craignez parler, craignez voir ; si votre songe est bon, respectez votre songe ; je suis la simple fille, non couronnée, l’ordinaire et pauvre mélancolique fille des jours banals.

— « L’heure avance, et les promeneurs sont plus rares, et moins de bruit est, moins de bruit, mon amie. »

… Ainsi, ainsi nous parlons, les immobiles, qui ne nous regardons, assis l’un près l’autre, en une proximité des corps aveuglés et voyants…

— « Oui, mon amie, la nuit avance ; tout à l’heure derrière les rideaux paraissait la clarté de la lune ; maintenant le dehors est noir et muet.

— « Les promeneurs s’arrêtent, par groupes las, et voyez qu’ils se sont assis : écoutez cette musique ; quelle, cette mélodie ? je retrouve un air de Pergolèse, un chant de clavecin grêle.