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L’UNIVERSITÉ DE PARIS AU XVe SIÈCLE

la flèche vers l’Orient[1] ; elle retombe donc à l’endroit d’où elle a été tirée ou près de cet endroit.

» Mais quoi qu’il en soit, l’opinion d’Aristote est plus probable (probabilior). Cela se voit par les raisons données dans le texte ; cela se voit aussi par l’expérience.

» Aux persuasions invoquées [par les tenants de la rotation terrestre], on répond comme suit :

» À la première, on accorde la majeure, mais à la conclusion, on répond : Il suffit que la terre, en recevant les influences du Ciel, se comporte d’une manière passive à l’égard de ces influences ; le Ciel, étant plus noble, se comporte d’une manière active dans la production de ces influences ; il est plus noble, d’ailleurs, de se pouvoir mettre en mouvement pour causer [en autrui] quelque perfection que de se mouvoir pour recevoir une perfection.

» À la seconde, on répond : Parmi les substances séparées de la matière, celle dont l’état est excellent, et qui est Dieu, n’a besoin d’aucune action ; toutefois, il est de sa nature de mettre les autres êtres en mouvement afin de leur faire largesse de sa bonté ; partant, le Ciel, qui est dans un état presque excellent, se meut en vue de déterminer générations et destructions dans les choses d’ici-bas.

» À la troisième, on répond : Pour les corps qui, comme les graves et les corps légers, se meuvent afin de parvenir au repos, le repos est meilleur que le mouvement, car s’ils se meuvent, c’est en vue du repos. Mais pour les autres corps, dont le mouvement est la perfection, on doit dire que le repos n’est pas condition plus noble que le mouvement ; ainsi en est-il des corps célestes, car ils se meuvent pour faire, aux autres êtres, largesse de leur bonté. »

Ainsi, ou à peu près, répondait Jean Buridan à Nicole Oresme.

Pas plus à la fin du xve siècle qu’au milieu du xive siècle, l’immobilité de la terre n’était, à Paris, tenue pour vérité certaine et dogme intangible. À chacune des deux opinions contraires, on n’attribuait que la probabilité, et si les doctes s’opposaient les uns aux autres des arguments, c’était seulement pour faire pencher soit d’un côté, soit de l’autre, la balance de la plus forte probabilité. Sans doute, au gré de la plupart des maîtres, c’est vers la thèse de l’immobilité de la terre que le fléau s’inclinait ; mais ils ne méconnaissaient pas le poids de

  1. Le texte dit : Versus Occidentem.