Page:Duhem - Le Système du Monde, tome X.djvu/92

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
89
L’UNIVERSITÉ DE PARIS AU XVe SIÈCLE

ment de distribution de la gravité et de la légèreté, en sorte que son centre de gravité change constamment ; le centre de gravité ne demeure pas toujours dans la même partie de la terre ; dès lors, puisque c’est continuellement une nouvelle partie de la terre qui devient centre de gravité, la terre se meut sans cesse afin que, sans cesse, une autre de ses parties se trouve au centre. »

Georges est compilateur soigneux, mais il maàque de sens critique ; lorsqu’en des chapitres différents, il s’inspire d’auteurs différents, il ne s’aperçoit pas toujours qu’il présente à son lecteur deux théories contradictoires.

Buridan, Oresme, Albert de Saxe dans ses Quæstiones in libros de Cælo, Thémon le fils du Juif ont mis au centre du Monde le centre de gravité de la terre seule ; Albert de Saxe dans ses Quæstiones in libros Physicorum et Pierre d’Ailly ont voulu que le centre du Monde coïncidât avec le centre de gravité de l’ensemble formé par la terre et l’eau. Le choix qu’on doit faire entre ces deux solutions dépend de la réponse qu’on donne à cette question : Un élément demeure-t-il pesant, quand il réside en son lieu naturel ? Si, même en son lieu naturel, l’eau garde sa pesanteur actuelle, si les mers pressent sur la terre qui en forme le fond, c’est le centre de gravité de tout l’agrégat terrestre et aqueux qui doit se placer au centre du Monde. Si, au contraire, l’eau perd, en son lieu propre, sa pesanteur actuelle pour ne garder qu’une pesanteur habituelle, si le fond des mers ne supporte aucune pression de la part de l’eau qui le surmonte, c’est la terre seule qui doit mettre son centre de gravité au centre du Monde. Pierre d’Ailly a soutenu la première théorie en toutes ses parties ; Albert de Saxe a enseigné la seconde en sa totalité ; ils ont été tous deux conséquents avec eux-mêmes.

Georges de Bruxelles ne l’est pas. De l’équilibre de la terre et des mers, il a emprunté le principe fondamental à Pierre d’Ailly. Le doute : « Un élément est-il grave en son lieu naturel ? » il le résout comme Albert de Saxe[1].

« Aucun élément, dit-il, n’incline actuellement au lieu situé en bas lorsqu’il se trouve en son lieu propre ; partant, en son lieu propre et naturel, nul élément n’a de gravité actuelle… En son lieu naturel, un élément à la gravité habituelle. »

À cette doctrine, on va faire cette objection : « Les parties

  1. Georgii De Cælo et Mundo, lib. IV. Dubitatur utrum aliquod elementum in suo proprio loco est grave. Ed. cit., second fol. après le fol. sign. p 4, col. a et b.