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LA COSMOLOGIE DU XVe SIÈCLE

la seconde partie de notre affirmation, elle est évidente, car la nature a horreur du vide ; aussi voit-on, pour éviter le vide, un grave monter, un corps léger descendre ; il n’est donc pas possible que le vide soit réalisé par une puissance naturelle. »

Dans le vide, s’il était réalisé, le mouvement se produirait d’une manière successive[1] ; en particulier, la chute des graves ne serait point instantanée ; pour franchir l’espace vide, elle requerrait un certain temps. Pour établir ces propositions, Georges dilue en des discussions longues et confuses ce que ses prédécesseurs et, particulièrement, Nicolaus de Orbellis avaient emprunté à Duns Scot. Ces considérations compliquées ne nous offrent qu’un court passage digne, à notre avis, d’être cité. Il s’agit de réfuter l’opinion de Saint Thomas d’Aquin qui attribuait le caractère successif du mouvement, en l’absence de toute résistance du milieu, à une certaine limitation de la puissance motrice ; contre cette limitation, où se devine comme une première intuition de l’idée de masse, on pourrait, selon notre auteur, raisonner ainsi[2] : « Ou bien, dans un corps plus grand, se trouverait une limitation plus grande ; partant un corps plus lourd ne devrait pas tomber plus vite qu’un corps moins lourd ; autant, en effet, on ajoute de pesanteur, autant on ajoute de limitation et toujours, semble-t-il, se maintiendrait entre elles une même proportion. Ou bien, dans un plus grand corps, la limitation ne serait pas plus grande ; mais ceci est impossible ; cette limitation, en effet, est une qualité ou une forme substantielle ; mais d’autant un corps est plus grand, d’autant est plus grande toute qualité ou forme substantielle de ce corps ; d’autant, donc, serait plus grande cette limitation. — Vel in majori corpore esset major limitatio, et sic magis grave non deberet descendere velocius quam minus grave ; quia quantumcunque additur de gravitate, tantum additur de limitatione, et sic semper videtur manere eadem proportio. Vel non esset in majori corpore major limitatio ; sed hoc est impossibile, quia illa limitatio est qualitas vel forma substantialis, et quanto corpus est ma jus, tanto major est qualitas vel forma et, per consequens, tanto major est limitatio. »

Très clairement, notre auteur entrevoit cette vérité : Au moins en des corps de même nature, cette limitation qu’est la masse

  1. Georgii Physicorum, lib. IV. Dubitatur utrum in motibus gravium et levium tota successio proveniat ex resistentia medii.
  2. Georges de Bruxelles, loc. cit. ; éd. cit., fol. sign. Gg, col. d.