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LA COSMOLOGIE DU XVe SIÈCLE

Le Roy m’a chargé de faire déclouer et défermer tous les livres des Nominaux qui ja piéça furent scellez et clouez par M. d’Avranches ès Collèges de ladite Université à Paris et que je vous fisse sçavoir par tous les dits Collèges. Monsieur nostre Maistre Berranger vous en parlera de bouche plus au long et des causes qui meuvent le Roy à ce faire, en priant Dieu, Messieurs, qu’il vous donne bonne vie et longue.

» Escrit au Plessis du Parc ce 29 jour d’Avril. Vostre fils et serviteur,

J. Destouteville. »


Cette rentrée en grâce du Nominalisme fut, à n’en pas douter, accueillie avec grande satisfaction. Maître Bérenger le Marchand (Berengaruis Mercatoris), qui semble en avoir été le principal artisan, recueillit de nombreux témoignages de reconnaissance. Le 30 avril 1481, ! la Nation Picarde, assemblée pour lui rendre grâces[1] constatait avec joie que « la méthode et la doctrine des Nominalistes avait été, en l’année 1473 du Seigneur, interdite par ordre du Roi et pour certaines causes ; mais que maintenant pour de nouvelles causes plus certaines, elle était ouverte. » En félicitant, elle aussi, Bérenger le Marchand, la Nation Allemande, dans une assemblée tenue le même jour[2], adressait de justes critiques à la mesure qui venait d’être rapportée. L’enchaînement des livres nominalistes lui rappelait ce mot de l’Êvangile : « Personne n’allume une lampe pour la mettre en quelque lieu caché ou sous un boisseau ; il la place sur un candélabre afin que tous ceux qui entrent voient la lumière. » L’autorité royale avait eu la prétention d’imposer une méthode philosophique à l’exclusion de toute autre ; la Nation lui rappelait le vers d’Horace :

Nullius addicius jurare in. verba magistri.

À l’étrange abus de pouvoir commis par Louis XI, l’autorité ecclésiastique n’avait pas pris la moindre part ; à aucun moment elle n’avait été consultée sur les doctrines qu’on prétendait interdire ; ce n’est pas elle, sans doute, qui eût déclaré « saine, sûre, bien adaptée à l’édification de l’Église et de la foi catholique » la doctrine d’Aristote et de son commentateur Averroès.

En revanche, à cet abus de pouvoir, le Parlement s’était associé avec empressement ; on ne saurait s’en étonner ; ce

  1. Bulæi Op. laud., t. V, p. 741.
  2. Bulæi Op. laud., t. V, p. 740.