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PAUL DE VENISE

bien entendu, pour admettre les opinions de ces auteurs ; plus que jamais, il restera ou prétendra, dans son Expositio, rester fidèlement attaché à la doctrine du Philosophe.

Il examinera, par exemple, ce doute[1] : « Le mouvement local diffère-t-il du mobile et de l’espace parcouru ? » — « Remarquez, dira-t-il, que ce doute a été introduit ici à cause de l’opinion d’Ockam, au gré de laquelle le mouvement local ne se distingue pas du mobile, et de l’opinion de Grégoire de Rimini, au gré de laquelle le mouvement local ne se distingue pas de l’espace ou du lieu.

» Argumentons contre ces opinions[2], particulièrement contre celle d’Ockam, et, tout d’abord, de la façon suivante :

» Supposons que Dieu anéantisse toutes choses, sauf la sphère ultime, et que celle-ci continue de se mouvoir comme elle se meut maintenant ; à chaque instant, cette sphère se comporterait, d’une manière intrinsèque, autrement qu’elle ne se comportait auparavant ; il faudrait que, d’instant en instant, elle acquît quelque changement ; mais ce qu’elle acquiert de nouveau, ce n’est point elle-même ni quelque partie d’elle-même ; elle acquiert donc quelque mouvement, qui est distinct d’ellemême, et en vertu duquel l’on dit qu’elle se comporte maintenant autrement qu’elle se comportait auparavant, autrement qu’elle se comportera tout à l’heure ; mais elle se mouvrait alors exactement comme elle se meut à présent ; c’est donc qu’elle acquiert déjà un mouvement local distinct d’ellemême.

» Jean Buridan pouvait, contre la doctrine de Guillaume d’Ockam, user d’un tel raisonnement, car il avait rompu avec le Péripatétisme ; mais peut-il l’invoquer, celui qui prétend soutenir les opinions du Philosophe et de son Commentateur ? Ceux-ci ne tiendraient-ils pas pour chimérique ce Dieu qui peut anéantir toutes choses, sauf la sphère ultime ? Et d’une telle sphère, privée de tout lieu immobile auquel son mouvement pourrait être rapporté, diraient-ils qu’elle se meut ?

Et que dire du second argument par lequel Paul de Venise prétend confirmer le premier ? Traduisons-le : « Dieu pourrait anéantir toutes choses, excepté la matière première en mouvement et la sphère ultime ; il pourrait mouvoir la matière

  1. Pauli Veneti Op. laud., cap. cit., dubium secundum, fol. sign. p, col. b et c.
  2. Cette argumentation est reprise, presque dans les mêmes termes, mais un peu plus sommairement, dans Summa philosophiæ, pars sexta, cap. XXVII.