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PAUL DE VENISE

Le centre indivisible du Monde est donc le terme auquel oh doit rapporter tout mouvement local, tout repos local ; se mouvoir, c’est s’approcher ou s’éloigner du centre du Monde ; rester en repos, c’est demeurer à une distance invariable du centre du Monde. S’il en est ainsi, toute sphère céleste est assurément immobile par définition. Cette conséquence inadmissible de sa théorie, Paul de Venise ne l’examine pas ; mais il en examine une autre dont il ne paraît pas donner une solution très heureuse.

« Bien que, dans la catégorie de l’ubi, il y ait, dit-il[1], mouvement proprement dit (per se), il n’y a pas, cependant, mouvement proprement dit vers n’importe quel ubi ; vers l’ubi composé, il n’y a pas mouvement proprement dit, car un nouvel ubi composé peut advenir à un corps sans que ce corps, en lui-même, éprouve aucun changement ; mais il y a mouvement proprement dit vers l’ubi simple, car un nouvel ubi simple ne saurait advenir à un corps s’il n’éprouve en lui-même aucun changement.

» Cela est vrai selon la puissance naturelle. Dieu, en effet, pourrait mouvoir le Monde entier d’un mouvement de translation, tandis qu’il vous maintiendrait en repos au sein de l’air ; alors vous auriez sans cesse un nouvel ubi simple, car vous seriez d’instant en instant plus rapproché du centre du Monde, et cependant, vous n’éprouveriez en vous-même aucun changement. Ainsi donc, bien que vers l’ubi simple se fasse le mouvement proprement dit, Dieu peut faire que ce ne soit pas vers cet ubi que s’accomplisse le mouvement proprement dit. » Autant dire : Dieu, par sa toute-puissance, peut faire qu’une chose soit un mouvement alors que, par définition, elle n’est pas un mouvement. Il est difficile de se montrer moins sensé[2].

Dans la raison de Paul de Venise, une lutte incessante se livre, avec des alternatives diverses, entre les tendances averroïstes et les tendances plus modernes de l’École de Paris ; tantôt celles-ci l’emportent, tantôt les premières triomphent à leur tour.

Sous l’influence des doctrines terminalistes, Nicoletti renonce à cet axiome posé sans conteste par Aristote et par Averroès : Il existe, au centre du Monde, un corps d’étendue finie, dont

  1. Paul de Venise, loc. cit., dubium tertium, fol. 116, col. c.
  2. Cette argumentation se lisait déjà, presque dans les mêmes termes, dans la Summa totius philosophiæ, pars sexta, cap. XXXVII