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PAUL DE VENISE

physicorum ne dit pas un mot ; elle s’est arrêtée au seuil qu’il fallait franchir pour les apercevoir.

Ce seuil, la Summa totius philosophiæ le franchit, et sans jeter de regard en arrière ; elle développe, au sujet de l’infini, une théorie toute semblable à celle de Jean Buridan ou d’Albert de Saxe ; de la théorie d’Aristote, elle ne dit plus rien.

Sans doute, elle continue d’enseigner[1] qu’un corps dont la grandeur serait actuellement infinie ne se pourrait rencontrer dans la nature. Mais elle admet qu’ « en chacune des parties proportionnelles de l’heure à venir, Dieu peut créer une longueur longue d’un pied. » Toutefois, elle ne veut pas qu’on en tire cette conclusion : « Cela fait, la ligne résultante sera infinie. » Le raisonnement ne conclurait pas, car il y aurait passage du sens divisé au sens composé. Ce passage, Paul le marque à l’aide du langage imaginé par les Parisiens [2] : « En toute partie proportionnelle de l’heure à venir, Dieu peut créer une ligne d’un pied de long, dit-il ; il n’en résulte pas que Dieu puisse créer une ligne d’un pied de long en toute partie proportionnelle de l’heure à venir. »

« Soit A un corps cylindrique, dit-il encore ; ce corps comprend une infinité de parties proportionnelles ; à chacune d’elles correspond un tour d’hélice plus long que la circonférence de base ; la ligne composée de tous ces tours d’hélice est donc infinie. » À quoi il répond avec Albert de Saxe : « Ni le corps A ni aucune partie de ce corps ne possède une hélice, si ce n’est en puissance. Admettons donc qu’en la première partie proportionnelle d’une heure, on trace un tour d’hélice entourant la première partie proportionnelle du cylindre A ; qu’en la seconde partie proportionnelle de l’heure, on continue l’hélice précédente par un autre tour entourant la seconde partie proportionnelle de A, et ainsi de suite indéfiniment. Je n’admets pas qu’en ce cas, on obtienne une ligne infinie, non plus que je n’ai admis le cas précédent ; ce que j’admets bien, c’est ceci : En chaque partie proportionnelle de cette heure, on peut tracer une ligne entourant une partie proportionnelle de A. » Et l’ordre des mots dans cette phrase nous avertit, selon la règle parisienne, que l’auteur la prend aù sens divisé, au sens syncatégorique.

  1. Pauli Veneti Summa totius philosophiæ, pars secunda, cap. VI.
  2. Voir : Cinquième partie, ch. II, § V, t. VII, pp. 147-149.