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PAUL DE VENISE

» Par exemple, celui qui apprend la Géométrie croit d’abord, sur l’autorité d’Eüclide, que la somme des angles d’un triangle équivaut à deux angles droits ; plus tard, il connaît cette même conclusion par la démonstration. »

À l’attitude d’un Paul de Venise en présence du Péripatétisme et de la foi catholique, comparons maintenant l’attitude d’un Jean de Jandun.

Pour Jean de Jandun comme pour Paul de Venise, les principes de la raison naturelle, ce sont les propositions formulées par le Philosophe, élucidées par le Commentateur. Nos deux auteurs sont d’accord pour partir de ce même point ; mais ils se séparent presque aussitôt.

Sauf en de bien rares circonstances, Jean de Jandun regarde comme rigoureuses les déductions d’Aristote et d’Averroès ; ces auteurs ont tiré de leurs principes ce qui s’y trouvait logiquement contenu, en tout domaine, donc, l’enseignement de la raison naturelle se confond avec le Péripatétisme averroïste.

De ce Péripatétisme, d’ailleurs, mainte conclusion est en désaccord formel avec le dogme catholique. En toutes ces circonstances, Jean de Jandun adhère à ce que l’Église lui affirme et renonce aux théories péripatéticiennes, c’est-à-dire à la raison naturelle.

Ce faisant, il entend bien ne rien commettre d’illogique. Aristote et le Commentateur, interprètes autorisés de la raison naturelle, ont tiré de la connaissance des choses sensibles tous les principes de leur Philosophie ; dès lors, les conclusions déduites de telles prémisses cessent d’être légitimes et assurées aussitôt qu’elles excèdent le domaine des choses sensibles. Hors de ce domaine, donc, la raison naturelle n’est plus un guide clairvoyant ; force nous est de recourir à ceux que l’Église nous propose ; qu’elle ait, d’ailleurs, le droit de nous les proposer, elle le prouve par les miracles et les prophéties.

En face de cette attitude très nette et très clairement affirmée, plaçons celle de Paul de Venise.

À aucun moment, celui-ci ne laisse entrevoir que les conclusions de la raison naturelle puissent cesser d’être légitimes lorsqu’elles franchissent une certaine borne ; à aucun moment il n’indique qu’à partir d’une certaine limité, les dogmes divinement révélés soient les seuls principes recevables ; bien au contraire, nous venons de l’entendre revendiquer pour la raison naturelle le droit de démontrer les articles de foi. Il procédera donc toujours par la raison naturelle, c’est-à-dire