Page:Duhem - Le Système du Monde, tome X.djvu/388

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
385
PAUL DE VENISE

» Dès lors, nous raisonnons ainsi :

» L’âme intellectuelle n’est point soumise à la génération et à la corruption (3e livre De l’âme) ; il ne peut y avoir de multitude actuellement infinie (1er livre Du Ciel et 3e livre des Physiques) ; les espèces sont éternelles (1er livre des Seconds analytiques et 8e livre Du Ciel) ; donc l’âme intellectuelle de tous les hommes est unique. Le raisonnement est évidemment concluant. En effet, si les âmes intellectuelles étaient aussi nombreuses que les individus de l’espèce humaine, cela ne se pourrait faire que d’une de ces façons : Ou bien par génération et corruption, comme l’admettait Alexandre, et cela n’est pas, car cela répugne à la première partie des autorités. Ou bien par un nombre fini d’âmes qui abandonnent les corps, puis y reviennent, comme l’ont supposé Platon ét Pythagore ; et cela n’est pas non plus, car tout le monde sait qu’Aristote a écrit le contraire. Ou bien parce que les âmes sont engendrées ou créées et ne sont pas détruites ; c’est ce qu’admet la foi (ut ponit fides) ; et derechef cela ne peut pas être, car cela répugne à la deuxième et à la troisième partie des autorités. Par conséquent, il faut dire qu’en tous les hommes il y a, selon l’opinion et l’intention d’Aristote, une intelligence unique. »

Avec quelle netteté la niéthode de Paul de Venise s’accuse en tout ce passage ! Le souci de l’auteur n’est point du tout de chercher la vérité, mais de pénétrer l’intention d’Aristote et d’Averroès ; aussi tous les arguments sont-ils des arguments d’autorité ; on n’invoque pas des raisons, mais des textes. Cette intention d’Aristote et de son Commentateur Averroès, Paul affirme, nettement qu’elle est contraire à l’enseignement catholique ; nul ne saurait être Péripatéticien fidèle sans rejeter les propositions de foi. Quelque déclaration ou, à son défaut, quelque allusion nous avertira-t-elle que l’opinion d’Aristote n’est point toujours la vérité, que les principes de la Philosophie péripatéticienne sont sans force contre les vérités que l’Église nous enseigne ? En vain, croyons-nous, on feuilleterait la Summa Philosophiæ pour y découvrir une telle indication ; on ne l’y rencontrerait pas. Bien au contraire ; on y verrait sans cesse que l’opinion du Philosophe est enseignée sans la moindre réserve, comme la pure expression de la vérité. Paul, d’ailleurs, ne nous donne-t-il pas la pensée d’Aristote comme équivalente à la science même, et cela dès les premières lignes de son ouvrage ? Au début du proæmium, ne nous promet-il pas « de composer, sur les parties physiques de la science, sur les