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LA COSMOLOGIE DU XVe SIÈCLE

Que ce soit bien l’intention d’Averroès et, vraisemblablement, celle d’Aristote, nous le croyons volontiers ; mais ce qui nous surprend, ce qui nous scandalise, c’est d’entendre un prêtre catholique, un religieux, qui l’expose sans une réserve, sans une atténuation, sans une restriction. Cette « opinion des modernes qui pensent imiter Aristote », cette opinion contre laquelle Paul dresse quatre objections d’un Péripatétisme si intransigeant, qu’il sacrifie sans une hésitation au sentiment du Philosophe, n’est-ce pas précisément la doctrine chrétienne ?

L’Averroïsme de Paul Nicoletti se déclare sans ambages dans son Explanatio in libros de anima ; il s’affirme plus explicitement encore dans sa Summa Philosophiæ ; le chapitre où se produit cette affirmation mérite vraiment d’être traduit presque en entier[1].

« Touchant la multiplicité de l’intelligence, il n’y eut pas, entre les philosophes, moindre controverse qu’au sujet de sa mise en acte ; c’est par des solutions fort contradictoires entre elles que les sages ont tenté d’en atteindre la nature. Il nous faut noter tout d’abord que, parmi ceux qui parlent au nom de la raison naturelle, quatre opinions ont été professées.

» La première opinion fut celle d’Alexandre ; selon ce qu’en rapporte le Commentateur au troisième livre De l’âme, il admettait que les intelligences sont multiples comme le sont les individus de l’espèce humaine ; elles sont sujettes à la génération et à la destruction de même façon que les autres formes naturelles ; elles sont engendrées par l’effet d’une mixtion très noble des qualités premières ; elles sont détruites par la dissociation de ce même mélange[2].

» La seconde opinion fut celle de Platon ; il admettait que les âmes intellectuelles sont en nombre fini ; chacune d’elles correspond à un corps céleste, en sorte qu’après la mort, elles font retour aux étoiles ; certaines d’entre elles sont punies ou récompensées selon leurs mérites ; au bout d’un grand nombre de siècles, elles reviennent dans les corps qu’elles avaient habités, et cela se reproduit une infinité de fois.

» La troisième opinion fut celle de Pythagore ; il admettait que les âmes humaines sont en nombre fini, qu’elles ne délaissent

  1. Pauli Veneti Summa Philosophiæ, pars Vta : Scientia de anima ; cap. XXXVII.
  2. Cette doctrine est, en effet, celle qu’Alexandre professe au sujet de l’intelligence en puissance ; nullement celle qu’il enseigne touchant l’intelligence active. (Voir : Troisième partie, ch. I, § V ; t. IV, p. 377.) Paul de Venise connaît fort mal les doctrines dont il parle.