Page:Duhem - Le Système du Monde, tome X.djvu/338

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
335
NICOLAS DE CUES

tuel est donc un mouvement substantiel, se mouvant lui-même ; partant, il ne prend jamais fin. »

Dans ce passage, Nicolas de Cues paraît bien établir une complète parité entre mouvement qui se meut lui-même, mouvement intellectuel, mouvement doué d’existence substantielle, mouvement qui n’a jamais de fin ; chacune de ces propriétés semble entraîner les trois autres ; elles s’opposent à ces autres propriétés : mouvement accidentel, mouvement qui dure seulement un certain temps.

Ces mouvements accidentels, l’homme peut les imprimer dans les corps ; à Dieu seul, il appartient de créer les mouvements substantiels. « Dieu donne la substance ; l’homme ne donne que l’accident, qui est l’image de la substance ; au bois, l’homme a donné la formé d’un globe, forme qui se trouve ajoutée à la substance du bois ; de même, le mouvement de ce globe est surajouté à la forme substantielle ; mais Dieu est créateur de la substance. »

Or la sphère parfaite qu’est la sphère céleste est telle, en vertu de sa rondeur, que le mouvement fait partie de sa nature ; ce mouvement est créé en elle par Dieu ; il ne prendra jamais fin ; les principes précédemment posés conduisent dès lors à déclarer que ce mouvement est un mouvement intellectuel, qu’il est une substance analogue à notre âme. Que ce soit bien la pensée de Nicolas de Cues, il est, croyons-nous, impossible d’en douter quand on lit le passage suivant :

« L’intelligence se meut elle-même. Afin de le comprendre plus aisément, observez de quelle façon l’aptitude au mouvement réside dans la rondeur. Plus un corps est rond, plus aisément il se meut. Si donc la rondeur était maximum, s’il ne pouvait y avoir rondeur plus grande, assurément, elle se mouvrait par elle-même, elle serait, à la fois, moteur et mobile. Partant, le mouvement que nous appelons âme est créé avec le corps ; il n’est pas imprimé en lui comme il l’est dans le globe ; c’est un mouvement par soi, un mouvement adjoint au corps, et cela de telle façon qu’il soit séparable du corps ; c’est donc une substance. »

Nicolas de Cues a entendu l’enseignement de Buridan, au gré duquel les sphères célestes se meuvent indéfiniment par l’impetus que Dieu leur a donné, comme le toton se meut très longtemps par l’impetus que l’enfant lui a imprimé, il a entendu l’enseignement d’Oresme, au gré duquel ces sphères sont mues par des forces naturelles analogues à la pesanteur, en sorte que,