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NICOLAS DE CUES

quoi la boule s’arrête ; l’impetus d’un orbe céleste est perpétuel, et aussi le mouvement qu’il engendre.

Entre l’enseignement de Buridan et l’enseignement de Nicolas de Cues, il y a donc une très grande analogie, en sorte que celui-ci est visiblement un écho de celui-là ; mais il y a aussi une très grande différence, et cette différence est toute en faveur du maître parisien ; pour la découvrir, il suffit de porter son attention sur les causes qui expliquent, au gré de ces deux auteurs, la perpétuité de l’impetus au sein d’une sphère céleste.

Deux causes et deux causes seulement peuvent, aux yeux de Buridan[1], détruire l’impetus qu’on a communiqué à quelque projectile ; ces deux causes, ce sont l’inclination à un mouvement contraire, et une résistance extérieure ; ainsi l’impetus imprimé à une pierre qu’on lance vers le haut se trouve peu à peu corrompu, d’un côté par la pesanteur qui tire la pierre vers le bas, d’un autre côté par la résistance de l’air qui fait obstacle au mouvement du projectile. « Les impetus que Dieu a imprimés aux corps célestes ne sont pas affaiblis ni détruits par la suite du temps, parce qu’il n’y avait, en ces corps célestes, aucune inclination vers d’autres mouvements, et qu’il n’y avait, non plus aucune résistance qui pût corrompre et réprimer ces impetus. »

Par trois fois, Jean Buridan a proposé ces considérations où la loi de l’inertie était si clairement aperçue. En aucune circonstance, pour expliquer la perpétuelle durée du mouvement communiqué aux orbes célestes, il n’a eu recours à la figure sphérique de ces orbes ; à cette figure, il n’a même pas fait allusion.

C’est au contraire cette figure, et cette figure seule, qui, au gré de Nicolas de Cues, rend compte de la perpétuelle conservation de l’impetus. Et cette figure n’intervient pas indirectement pour expliquer cette perpétuité. Si une sphère parfaite, roulant sur un plan parfait, ne se doit jamais arrêter, ce n’est pas parce que ces deux surfaces parfaitement lisses ne frottent aucunement l’une sur l’autre ; ce n’est pas parce que cette sphère absolument homogène, posée sur un plan rigoureusement horizontal, se comporte comme si elle était dénuée de poids ; ni du frottement ni du poids, le Cardinal n’a soufflé mot ; c’est uniquement aux propriétés géométriques de la sphère et du planj c’est seulement aux considérations de symétrie qu’il a

  1. Voir ; Cinquième partie ; ch XII, § II, t. VIII, p. 330.