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LA COSMOLOGIE DU XVe SIÈCLE

Géométrie du cercle et de la sphère. L’Univers était borné par une surface sphérique parfaite dont le centre était le centre du Monde. En ce centre, résidait un corps absolument immobile. Les astres étaient autant de sphères parfaites. La marche impeccable du centre de chacune de ces sphères s’accomplissait, d’un mouvement uniforme, sur la circonférence d’un cercle très exact ; ou bien cette marche s’obtenait par une combinaison simple et précise de tels mouvements. Tout, dans cette Astronomie, présentait l’image de l’ordre rigoureux et de l’absolue précision.

Comment l’ignorance savante consentirait-elle à recevoir les dogmes d’une telle science ? Sa critique n’a-t-elle pas montré que rien, dans l’Univers contracté, dans le Monde créé, ne pouvait réaliser l’absolu ? Que tout être s’y trouvait compris dans une série, de telle façon qu’il y eût toujours un terme avant lui et un autre terme après lui ? Qu’aucun des objets concrets qui se développent suivant cette série ne saurait en être le terme minimum non plus que le terme maximum ? Que le minimum et le maximum ne se rencontrent qu’en Dieu ou, mieux, qu’ils sont identiques l’un à l’autre et identiques à Dieu ? Qu’il ne saurait donc y avoir, dans le Monde, de corpsparfaitement immobile, de sphère plus grande que toutes les autres ? Qu’on n’y peut voir de mouvement circulaire entièrement précis, mais qu’un mouvement presque circulaire étant donné, il y en a sûrement un autre qui décrit plus exactement le cercle, puis un autre plus exact encore, et ainsi de suite, indéfiniment ?

Ainsi à l’idée de rigueur et de précision qui dominaient F Astronomie reçue de tous, Nicolas de Cues va substituer l’idée d’une, approximation indéfiniment croissante, d’une suite de termes tendant vers une limite qu’ils n’atteindront jamais parce qu’elle n’est pas du même ordre qu’eux.

Que dira-t-il, tout d’abord, de cette proposition : Le Monde est borné par une surface sphérique dont le centre est absolument fixe ? « Dans la série des mouvements [1]. on ne parvient jamais à un minimum pur et simple, c’est-à-dire à un centre fixe ; il est nécessaire, en effet, que le minimum coïncide avec le maximum ; le centre du Monde coïnciderait donc avec la circonférence.

» Le Monde n’a pas non plus de circonférence, car s’il avait

  1. Nicolai de Cusa De docta ignorantia, lib. II, cap. XI ; éd. cit., t. I, p. 38.