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NICOLAS DE CUES

caractère ; ce qui aime veut s’unir à ce qui est aimé et se transformer en lui : Amor [1] transformat amantem in amatum.

Mais lorsque le sujet aimant tend de tout son pouvoir à s’unir à l’objet aimé[2], il ne le fait pas pour devenir autre ; il le fait pour être plus parfaitement lui-même ; sa propre vie, en effet, et son propre bonheur ne pourraient atteindre leur perfection s’il ne venait résider au sein de l’objet aimé ; et l’on peut vraiment dire en ce sens qu’un ami est un autre soi-même. Ainsi le mouvement par lequel le sujet aimant se tourne vers l’objet aimé est identique au mouvement par lequel il provoque et détermine l’objet aimé à se tourner vers lui-même, La descente du sujet aimant vers l’objet aimé, l’ascension de l’objet aimé vers le sujet aimant, sont les deux termes d’une opposition que l’Ignorance savante résout en un harmonieux accord.

Cette théorie de l’amour est toute entraînée par un grand souffle chrétien dont Denys a été l’inspirateur ; et cependant, pour se formuler, elle emprunte le langage et les pensées d’Aristote ; elle pénètre de charité l’Éthique si sèche et la Métaphysique si païenne du Stagirite. Déjà, par une tentative analogue, la Théologie d’Aristote s’était efforcée de concilier, de composer le Péripatétisme avec le Néo-platonisme chrétien. De cette Théologie, l’œuvre de Nicolas de Cues ne se rapproche pas seulement par la commune tendance qui les sollicite l’une et l’autre ; elle lui ressemble étrangement par la doctrine qu’elle propose. Cette ressemblance est trop grande pour que nous puissions aisément nous défendre de voir dans le futur évêque de Brixen un imitateur du philosophe hellène à jamais inconnu.


III
l’ignorance savante et le scepticisme astronomique


Jusqu’à Képler, l’Astronomie s’est développée selon les principes qu’elle avait reçus, dès avant le temps de Platon, des sages de l’Hellade ; ces principes recherchaient, dans le Monde des corps célestes, la rigueur et la simplicité qui caractérisent la

  1. Nicolai de Cusa Excitationum, lib. V ; ex sermoae : Hic est verus propheta qui venturus est ; éd. cit., t. II, p. 487.
  2. Nicolai de Cusa Excitationum, lib. VIII ; ex sermone : Venite post me ; éd. cit., t. II, p. 614.