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NICOLAS DE CUES

réuniront de nouveau au sein de Dieu. À la théorie de l’Aristote apocryphe, le postulat de l’identité entre le maximum et le minimum permet de souder le dogme chrétien de la résurrection des corps. Ici, comme en nombre d’autres circonstances, la philosophie de Nicolas de Cues semble être une adaptation de la Théologie d’Aristote à la doctrine chrétienne.


Q. Les facultés de l’âme humaine


Le sujet dont l’existence est seulement en puissance aime l’agent, car il désire l’existence en acte que l’agent peut seule lui donner. Cette proposition couronne la Métaphysique d’Aristote.

L’auteur de la Théologie y ajoute cette proposition d’origine chrétienne : L’agent, possesseur de l’existence en acte, aime le sujet, son inférieur ; sans ce sujet, en effet, il ne pourrait développer les activités qui résident en lui et, partant, il ne pourrait atteindre sa propre perfection.

De ces deux courants de l’amour, l’un ascendant, l’autre descendant, la Théologie d’Aristote nous entretient à plusieurs reprises ; mais elle en use surtout pour expliquer la constitution de l’âme humaine[1].

Nicolas de Cues, lui aussi, décrit ces deux courants de l’amour ; l’amour ascendant qu’éprouve, pour l’agent, le sujet en puissance qui souhaite de passer à l’acte ; l’amour descendant qu’éprouve, pour le sujet, l’agent désireux de développer ces énergies ; et pour lui comme pour la Théologie d’Aristote, l’âme humaine est un des lieux où se laisse contempler ce va-et-vient de l’amour.

Comme l’Univers, l’âme humaine nous présente l’image de la Trinité divine ; elle se compose, en effet[2], de l’intelligence (intellectus), du sens (sensus), enfin de la raison (ratio) qui est intermédiaire entre l’intelligence et le sens et qui les unit l’une à l’autre. L’ordre de prééminence place la raison au-dessus du sens et l’intelligence au-dessus de la raison.

L’intelligence[3] ne réside ni dans le temps ni dans l’espace ; elle en est indépendante ; le sens, au contraire, dépend du temps et de l’espace ; il est soumis au mouvement, tandis que l’intelli-

  1. Voir : Troisième partie, ch. I, § VII ; t. IV, pp. 398-401.
  2. Nicolai de Cusa De docta ignorantia, lib. III, cap. VI ; éd. cit., t. I, p. 50.
  3. Nicolai de Cusa Op. laud., lib. III, cap. VI et cap. VII éd. cit., t. I, pp. 50-53.