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NICOLAS DE CUES

Dans un de ses sermons, il insiste[1] avec détails sur ce temps intemporel qu’il place entre l’éternité et le temps successif et continu qui se rencontre, contracté, dans les choses changeantes. « L’âme, dit-il, voit qu’elle est conjointe au continu et au temporel ; parmi ses opérations, en effet, celles-là sont successives et temporelles qu’elle accomplit à l’aide d’organes périssables ; telles la sensation, l’imagination, la mémoire et autres semblables. Et, d’autre part, dans l’opération de l’intelligence séparée des organes, l’âme se voit affranchie de toute continuité ; quand elle comprend, c’est d’une manière soudaine qu’elle comprend. L’âme découvre ainsi qu’elle est entre le temporel et l’éternel…

» Si elle a besoin d’organes et de la succession temporelle, c’est, elle le voit, à cause de son imperfection ; c’est parce qu’il lui faut passer de la puissance à l’acte. Les intelligences plus parfaites, celles qui sont en acte, n’ont, pour parvenir à l’acte, aucun besoin du procédé discursif ; aussi approchent-elles davantage de l’éternité et sont-elles plus complètement affranchies de la succession temporelle,…

» L’âme, donc, voit en elle-même le temps intemporel, à la fois un et triple, passé, présent, futur (intemporale unitrinum tempus, præteritum, præsens et futurum)… Le passé, elle le nomme mémoire ; le présent, intelligence ; le futur, volonté.

Ce n’est pas seulement au temps et au mouvement que l’intelligence applique cette force synthétique ; c’est à tout développement, à toute multiplicité, à toute diversité. « Ce n’est pas simplement par l’abstraction, en les séparant de la matière, qu’elle s’assimile à toutes choses[2] ; c’est dans une simplicité qui ne saurait se communiquer à la matière ; de cette façon, elle a l’intuition de toutes choses au sein de sa propre simplicité ; ainsi voit-elle toute grandeur dans le point, tout cercle dans son centre ; dans cette simplicité, elle a, de toutes choses, une intuition qui les dépouille de toute composition faite de parties diverses ; elle ne les voit pas en tant que telle chose est ceci et que telle autre chose est cela ; elle les voit en tant que toutes ne font qu’un, en tant que cet un est toutes choses. »

Or connaître toutes choses sous cette forme synthétique, c’est, pour l’intelligence, atteindre à la filiation divine. Pour y

  1. Nicolai de Cusa Excitationum, lib. I. De eo quod scriptum est : Et vita erat lux hominum. Ed. cit., t. II, pp. 367-368.
  2. Nicolai de Cusa Idiotæ, lib. III : De mente ; cap. VII ; éd. cit., t. I, p. 159.