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NICOLAS DE CUES

à distinguer, à comparer, à opposer la synthèse et le développement, la synthèse qui se comporte, à l’égard du développement, comme un minimum absolu, comme un néant et qui en est, en même temps, le maximum vabsolu.

Le point et la ligne nous donnent l’exemple le plus simple d’une telle synthèse et de son développement ; aussi notre auteur revient-il fort souvent aux inconcevables propriétés du point.

« Penses-tu », dit le Philosophe à l’Idiot[1], « que le point soit divisible ? » Et l’idiot de répondre : « Je pense que le point qui termine une ligne ne saurait être divisible ; ce qui est un terme ne saurait avoir : de terme ; or si le point était divisible, il aurait un terme ; il ne serait donc point terme de la ligne. Le point n’est pas quantité ; on ne saurait avec des points composer une quantité, car une quantité ne peut être formée d’éléments non quantitatifs. » — « Ton avis », reprend le Philosophe, « s’accorde avec celui de Boëce ; celui-ci disait : En ajoutant un point à un autre, tu ne fais rien de plus qu’en ajoutant rien à rien. »

Et cependant ce point, qui n’est pas une grandeur, c’est de lui que toute grandeur continue sort par voie de développement ; de toute grandeur, il est la synthèse. « Le Créateur[2]… a fait le point qui est proche du néant car, entre le néant et le point, il n’y a pas d’intermédiaire. Le point est si voisin du néant qu’en ajoutant un point, ou ne fait rien de plus qu’en ajoutant rien à rien… Et cependant, en ce point unique est la synthèse de l’Univers entier. »

Ce qu’on a dit du point à l’égard de la grandeur continue, on le peut répéter de l’instant à l’égard du temps, de l’état de repos à l’égard du mouvement.

« Le mouvement, dit l’idiot[3], c’est le développement du repos ; dans le mouvement, on ne trouve rien qu’une série d’états de repos. De même, le présent se développe dans le temps ; dans le temps, on ne trouve rien que des instants présents ; et ainsi du reste. » — Comment peux-tu dire, demande le Philosophe, qu’on ne trouve rien dans le mouvement, si ce n’est le repos ? » — « Se mouvoir », répond l’idiot, c’est passer d’un état à l’autre ; tant que l’objet persévère dans un même

  1. Nicolai de Cusa Idiotæ, liber III : De mente. Cap. IX ; éd. cit., t. I, p. 162.
  2. Nicolai de Cusa Complementum theologicum, cap. IX ; éd. cit., t. III, p. 1114.
  3. Nicolai de Cusa Idiotæ, lib. III, cap. IX ; éd. cit., t. I, p. 163.