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LA COSMOLOGIE DU XVe SIÈCLE

une égalité de l’existence des choses, c’est-à-dire une sorte de mesure, de définition, de détermination éternelle de toutes choses ; rien ne saurait exister qui la dépasse ni rien qui soit au-dessous d’elle. — Necesse est igitur hanc æqualitatem existentiæ rerum esse æqualitatem, id est modum quemdam, sive diffinitionem, sive determinationem æternam rerum, citra quam vel ultra quam nihil esse possibile est

» Puisque la Divinité, c’est l’Unité même, il faut qu’elle soit l’être unique de toutes choses. L’Égalité de cette unité, c’est donc une sorte de mesure au-delà de laquelle ou bien en deçà de laquelle rien ne saurait subsister… C’est, d’après elle, que les formes et les mesures des choses sont tenues d’exister ; là se trouvent contenues les notions des choses (rerum notiones) ; toujours, en effet, l’idée d’une chose (notitia rei) est contenue dans l’Égalité de l’unité ; si elle dépasse cette Égalité ou si elle lui demeure inférieure, il ne faut plus l’appeler idée, mais fausse imagination ; car, nous l’avons dit, l’Égalité de l’Unité est nécessairement aussi l’Égalité de l’existence des choses. Il est donc vrai que tout notion des choses est contenue dans l’Égalité. »

Depuis Saint Augustin, la Scolastique s’était complue à méditer, à développer ces deux propositions :

Le Verbe, c’est le modèle, l’exemplaire, à la ressemblance duquel Dieu a créé toutes choses.

Ce qui est vrai, ce qui est faux d’une chose, c’est ce qui est conforme ou ce qui ne s’accorde pas avec l’éternelle idée de cette chose au sein du Verbe.

Ces deux propositions sont, pour Thierry, deux corollaires ou, plutôt, deux aspects de cette pensée :

Le Verbe, c’est la mesure, égale au Père, de la Toute-puissance du Père.

Or, cette pensée, Nicolas de Cues la recueille précieusement dans l’héritage de l’Écolâtre chartrain.

« Qui dit unité, écrit-il[1], dit, en quelque sorte, entité (entitas) ; entité provient du mot grec ὄν qui se dit en latin ens. L’Unité est donc entité, car Dieu est l’entité même des choses ; il est, en effet, la forme qui confère l’existence (forma essendi) ; partant, il est aussi l’entité.

» D’autre part, l’Égalité de l’Unité est, en quelque sorte,

  1. Nicolai de Cusa De docta ignorantia lib. I, cap. VIII ; éd. cit., t. I, [6].