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LA COSMOLOGIE DU XVe SIÈCLE

nous saute aux yeux dès l’instant où, dans l’œuvre de celui-ci, nous lisons ce passage[1] :

« L’unité précède toute altération (alteritas), car l’unité précède le nombre deux qui est le principe de l’altération ; autre, en effet, ne se dit jamais de deux choses. L’unité précède donc tout changement, puisque tout changement tire du nombre deux ce qui le fait exister ; rien, en effet, n’est apte à changer ou à se mouvoir, s’il n’est capable d’être d’abord d’une façon, puis d’une autre. L’unité précède, dès lors, cette altération dans la manière d’être et, partant, elle précède aussi le changement. Mais toute créature est soumise au changement, et tout ce qui existe, ou bien est éternel, ou bien est créature. Puis donc que l’unité précède toute créature, il est nécessaire qu’elle soit éternelle. »

Le futur Évêque de Brixen n’a pas eu simplement, par quelque voie détournée, la connaissance lointaine de la pensée de Thierry de Chartres ; il a certainement lu le De opere sex dierum libellus ; on n’en saurait douter, pour peu que l’on compare le texte de cet écrit avec le texte du traité De docta ignorantia ; pour le passage que nous venons de citer, donnons cette comparaison.

Thierry de Chartres     —————Nicolas de Cues—————
   Omnem alteritalem imitas præcedit, quoniam imitas præcedit binarium, quod est principium omnis alteritatis ; alterum enim semper de duobus dicitur. Omnem igitur mutabilitatem præcedit imitas ; siquidem omnis mutabilitas substantiam ex binario sortitur ; nihil enim aptum est mutari sive moveri nisi etiam aptum sit ut prius se habeat uno modo, deinde alio. Hanc igitur modorum alteritatem imitas præcedit, quare et mutabilitatem.    Id quod omnem alteritatem præcedit, æternum esse nemo dubitat ; alteritas namque idem est quam mutabilitas ; sed omne quod mutabilitatem naturaliter præcedit immutabile est, quare æternum. Alteritas oero constat ex uno et altero, quare alteritas, sicut numerus, posterior est unitate. Unitas ergo natura prior est alteritate, et quoniam
  1. B. Hauréau, loc. cit., pp. 180-181. Cf. Pierre Duhem, Thierry de Chartres et Nicolas de Cues. (Revue des Sciences philosophiques et théologiques, juillet 1909.).