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NICOLAS DE CUES

cipe de l’être comme ce en quoi réside de meilleure manière ce dont il est le principe, je vois qu’il est être au maximum. Mais comme ce même principe est au-dessus de toutes les oppositions, au-dessus de tout ce qui se peut exprimer, et cela d’une manière ineffable, je vois qu’il est avant le maximum aussi bien qu’avant le minimum ; il se trouve placé au-dessus de tout ce qui peut être dit. Partant, tout ce qu’on affirme de l’être, on le doit nier du principe, de la façon qui vient d’être décrite. »

Ce que nous retrouvons ici, c’est, très exactement, la pensée de Proclus, de Proclus plusieurs fois cité dans ce sermon ; en la reprenant à son propre compte, le futur évêque de Brixen reste très conséquent avec ses propres principes ; plus exactement pourrait-on dire que ce que nous venons de lire éclaire d’un jour particulier la voie par laquelle il prétend accéder à la Métaphysique ; en Dieu, nous dit-il, l’être et le non-être se concilient ; parce que Dieu les précède l’un et l’autre ; ainsi en est-il de toute antinomie, de toute contradiction ; partout où les choses divines sont en question, nous devons concilier les contradictoires dans un seul et même concept, en les prévenant, pour ainsi dire, en portant nos regards en avant du point de bifurcation où ils se séparent pour s’opposer, en.Dieu qui les unit en les surpassant : « Oportet[1] in divinis simplici conceptu compledi contradictoria, ipsa antecedenter præveniendo. » Ainsi, « dans la divine synthèse[2], toutes choses coïncident les unes avec les autres sans aucune différence ; dans notre synthèse intellectuelle, les contradictoires deviennent compatibles. — In intelleduali complicatione contradidoria se compatiuntur. » De ce qui fut la doctrine de Proclus, Nicolas de Cues a fait sortir ce qui sera la doctrine de Hegel.

Proclus avait dit de l’Un qu’il était un non-être ; Denys avait écrit de Dieu[3] : « Il est toutes choses et, toutefois, il n’est aucune de ces choses. » Le philosophe de Cues réunit en une seule ces deux pensées en composant le passage suivant[4] :

« Celui qui dit : Dieu est en toutes choses, n’énonce pas jugement plus vrai que celui qui déclare : Dieu n’est rien, ou bien : Dieu n’est pas. Il sait, en effet, que Dieu est au-dessus de toute affirmation comme de toute négation ; quoiqu’on dise, il demeure inexprimable. »

  1. Nicolai de Cusa De docta ignorantia, lib. I, cap. XIX ; éd. cit., t. I, p. 14.
  2. Nicolai de Cusa De conjecturis, lib. II, cap. I ; éd. cit., t. I, p. 94.
  3. Voir : Troisième partie, ch. I, § III ; t. IV, pp. 350-351.
  4. Nicolai de Cusa Libellus de filiatione Dei ; éd. cit., t. I, p. 125.