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LA COSMOLOGIE DU XVe SIÈCLE

« D’où vient que le mouvement naturel est plus vite à la fin qu’au commencement ? À ce sujet, il y a trois opinions.

» La première opinion est celle des anciens philosophes qui, dans le lieu naturel, mettaient une force par laquelle il attirait vers lui le corps naturel ; partant, plus le corps naturel est proche du lieu naturel, plus cette force attractive a de puissance pour agir et pour attirer le corps ; aussi le corps se meut-il à la fin plus vite qu’au commencement.

» Cette opinion est fausse ; alors, en effet, un corps moins pesant se mouvrait, à la fin, plus vite qu’un corps plus pesant, car la force attractive aurait, sur le corps moins pesant, plus puissante domination que sur le corps plus pesant.

» Aussi, bien que cette opinion fût celle d’anciens philosophes, certains de leurs successeurs ont pensé qu’il y avait, dans le lieu naturel, une force capable d’attirer le corps pesant, et dans le lieu d’où le grave s’éloigne, une force répulsive ; la pesanteur, sans ces deux forces, ne suffirait donc pas à rendre compte du mouvement d’un corps grave ; ainsi juge saint Bonaventure ; mais le contraire est communément admis.

» La seconde opinion est que cet accroissement de vitesse provient de ceci : Plus un objet est proche de sa fin, plus fortement il tend vers elle. Par exemple, plus un homme vertueux devient bon, plus est puissant l’effort par lequel il tend à la félicité. Or le lieu naturel est la fin à laquelle tend le corps qui lui est propre et qu’il est appelé à loger.

» Cette opinion se réfute ainsi : Si c’était en raison de son appétit qu’un corps grave se meut plus ou moins vite vers le centre, comme l’appétit, d’autre part, se produit en raison de la disette, le corps pesant aurait d’autant plus appétit de son lieu naturel qu’il en serait privé davantage ; donc, plus un grave serait distant de son lieu naturel, plus vite il se mouvrait vers lui ; ainsi le mouvement naturel serait plus vite au commencement qu’à la fin.

» Voici la troisième opinion : Par l’effet du mouvement naturel, dans le corps naturel qui se meut, un certain impetus se trouve acquis ; cet impetus ne s’accroît pas au commencement du mouvement, mais à la fin ; c’est en raison de cet impetus acquis que le mouvement naturel est plus vite à la fin, c’est-à-dire quand l’impetus est acquis, qu’il n’était au commencement. Partant, quand une pierre tombe, plus elle tombe de haut, et plus longue est la durée de sa chute, plus grand est Yimpetus qu’elle acquiert ; cet impetus, c’est une certaine qualité