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LES UNIVERSITÉS DE L’EMPIRE


C. Le mouvement dans le vide.


D’un commun accord, on admet que l’existence d’un espace vide n’est point contradictoire ; il est donc permis de concevoir qu’un corps se trouve placé au sein d’un tel espace et de rechercher comment il s’y mouvrait.

Un grave, par exemple, qui se trouverait dans le vide, tomberait-il subitement, ou bien sa chute aurait-elle une certaine durée ? Aristote a soutenu le premier parti, Jean Philopon et Ibn Badjâ le second. Entre les deux opinions, les maîtres de la Scolastique se sont partagés. Ce partage a dû jeter dans un grand embarras les physiciens des Universités allemandes.

Du mouvement dans le vide, ni Gabriel Biel ni la Margarita philosophica n’ont rien dit.

Josse d’Eisenach a pris parti. Sa doctrine[1] est exactement celle de Jean Buridan et d’Albert de Saxe.

À la chute d’un grave, deux sortes de résistances peuvent seules mettre obstacle ; l’une est extrinsèque et l’autre intrinsèque ; la résistance extrinsèque est opposée par le milieu qui ne se laisse pas aisément diviser ; la résistance intrinsèque se rencontre lorsque le grave considéré est un mixte dans la composition duquel entre quelque élément léger.

Si les deux résistances font, à la fois, défaut, la chute est instantanée ; or la résistance extrinsèque fait défaut dans le vide ; la résistance intrinsèque disparaît lorsque le corps qui tombe est pur de tout mélange avec un corps léger. Partant, un grave simple, placé dans le vide, y tomberait d’une chute instantanée, tandis qu’un grave mixte, contenant un élément léger, y prendrait un mouvement successif.

« Si le vide existait, le mouvement s’y pourrait-il faire ? Ici, dit Conrad Summenhart[2], il y a deux opinions.

» La première opinion est celle d’Aristote ; le Philosophe tenait que, dans le vide, le mouvement ne pourrait se produire, et il le prouvait par six raisons ; tout au moins tenait-il ce parti en vue de la discussion, car peut-être regardait-il l’existence du vide comme purement et simplement impossible ; il jugeait, en effet, que le vide ne saurait être produit par la nature ;

  1. Judoci Isennachensis Summa in totam physicen, 11b. IV, cap. IV ; fol. précédant le fol. sign. i i, vo.
  2. Commentaria Conradi Summenhart in Summam physice Alberti Magni, tract. I, cap. VI, octava difficultas.