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LES UNIVERSITÉS DE L’EMPIRE

faveur d’Aristote. « On demande, poursuit-il[1], si Aristote pourrait être appelé hérétique pour avoir dit que le Monde existé de toute éternité. Il semble que oui, car il a parlé contrairement à la foi.

» On doit répondre que d’aucune manière, au sujet de cette thèse, Aristote ne saurait être appelé hérétique, et cela pour trois causes.

» La première, c’est qu’il a dit vrai selon Saint Thomas ; il entendait seulement dire, en effet, que le Monde n’a pas commencé par un mouvement naturel, ce qui est véritable ; et c’est bien ainsi que procèdent ses raisonnements.

» La seconde cause, c’est que personne n’était tenu de garder la foi avant que cette foi ne fût donnée ; or, au temps d’Aristote, la foi n’avait pas encore été donnée par le Christ. Quant à la Loi ancienne, dans laquelle est contenu l’article de la création du Monde, elle n’obligeait pas les Gentils, mais seulement les Israélites à qui elle avait été promulguée.

» La troisième cause est celle-ci : C’est l’opiniâtreté qui fait l’hérésie ; or Aristote ne fut pas opiniâtre en cette opinion ; c’est prouvé par le premier livre des Topiques où il dit que l’existence éternelle du Monde est un problème neutre.

» Albert dit cependant qu’il a erré ; il fut homme, ajoute-t-il ; il a donc pu errer comme tout autre homme. »

L’extrême vénération que Lambert et ses émules professaient pour Thomas d’Aquin s’étendait peu à peu jusqu’au Stagirite dont ils regardaient le saint Docteur comme le fidèle interprète ; de là, ce désir d’écarter d’Aristote tout soupçon d’hétérodoxie, et les étranges déformations qu’un désir si peu raisonnable faisait subir au Péripatétisme ; plus clairvoyants et mieux informés, les Pères de l’Église avaient tous, dans la doctrine du Lycée, reconnu la plus païenne des philosophies helléniques.

Le Thomisme rétrograde de la Bursa Montis continuait d’ailleurs, à Cologne, de trouver une émule dans l’Albertisme non moins rétrograde de la Bursa Laurentiana[2]. Là, Gerhard Harderyvyck († 1503) donne ses commentaires sur la Nova logica[3] et sur les Summulæ de Pierre l’Espagnol[4] ; là, Arnold de Luyde (Arnoldus de Tungris), qui mourut, fort âgé, en 1540,

1. Lamberti de Monte ; Op. laud, lib. VIII ; éd. cit., fol. cxxix, col. b et c.

2. C. Prantl, Op. laud., Bd. IV, p. 223.

3. C. Prantl, Op. laud., Bd. IV, p. 228.

4. C. Prantl, loc. cit., et Bd. III, note 143, V, p. 37.

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