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LA COSMOLOGIE DU XVe SIÈCLE

buer les révolutions du Ciel à l’impetus que Dieu lui a communiqué au moment de la création, et qui se maintient inaltéré parce qu’il ne lutte contre aucune force, contre aucune résistance.

Comment nous étonner, d’ailleurs, que Joannes Versoris ait passé cette pensée sous silence lorsque nous rencontrons même publi dans les manuels de Jean Hennon, de Georges de Bruxelles, de Pierre Tataret, de tous ceux qui suivent, en Physique, la voie des Modernes.

La supposition de Buridan était la plus audacieusement révolutionnaire et, en même temps, la plus féconde qu’ait émise l’École de Paris au cours du xive siècle ; elle balayait les derniers restes des Théologies astrales auxquelles l’Antiquité avait demandé la raison des mouvements célestes, et que Musulmans, Juifs et Chrétiens s’étaient efforcés d’accommoder tant bien que mal à leur foi monothéiste ; à ces Théologies, elle proposait de substituer une Mécanique céleste tirée des mêmes principes que la Mécanique des mouvements d’ici-bas. Nicole Oresme, Albert de Saxe avaient compris l’extrême importance d’une telle doctrine. Mais leurs successeurs, les maîtres qui, cent ans après eux, s’asseyaient dans les mêmes chaires de la Faculté des Arts, avaient perdu jusqu’au moindre souvenir de ce grandiose enseignement.

D’autres théories précieuses avaient disparu de ce qui formait la Physique parisienne au xve siècle ; les méthodes par lesquelles Oresme avait montré comment on peut raisonner sur les latitudes des formes avaient certainement rencontré grande faveur chez les élèves immédiats du conseiller de Charles V ; un Henri Heynbuch de Hesse, par exemple, avait compris la grandeur du secours que les représentations, fondées sur l’emploi des coordonnées, pourraient un jour donner à la Physique et, avec un enthousiasme naïf, il avait tenté d’en user pour substituer des explications claires à l’abus des qualités occultes. Mais pas un mot de l’art de figurer l’intensité des qualités et la latitude des formes ne se lisait dans ces manuels où les futurs bacheliers, les futurs licenciés apprenaient ce que le Cardinal d’Estouteville leur avait imposé. Pierre Tataret lui-même qui, dans son Expositio totius Philosophiœ Aristotelis, copie[1] une bonne part du Tractatus proportionum d’Albert de Saxe, ne fait pas la moindre allusion au Tractatus de latitudinibus formarum.

  1. Petri Tatareti Physicorum, lib. VII ; quæritur utrum omnis motus sit omni motui comparabilis ; dubium 2m et dubium 3m ; éd. cit., fol. XLIX, col. c et d.