Page:Duhem - Le Système du Monde, tome X.djvu/124

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
121
L’UNIVERSITÉ DE PARIS AU XVe SIÈCLE

chaque élément, unissait directement la forme substantielle spécifique à la matière première. Cette difficulté, nous l’avons vu, n’avait pas entièrement échappé à Jean le Tourneur. Elle ne l’a point empêché, cependant, d’accueillir cette nature universelle, si féconde en commodes échappatoires. Il n’est pas, d’ailleurs, le premier thomiste qui lui ait fait une large place dans sa Physique, et Grazadei d’Ascoli lui avait pu servir d’exemple.


E. Les marées. L’influence du Ciel


Cette intervention de la nature universelle plaît si fort à notre auteur qu’il y a parfois recours même en des circonstances où elle semble n’avoir que faire. Ainsi le passage que nous venons de citer est immédiatement précédé d’un autre passage où il est dit que la mer flue et reflue deux fois par jour, et que la Lune est cause de ce mouvement. « Ce flux est surnaturel ou obédientiel, et il dépend de la nature commune. »

Un peu plus loin, il est parlé d’une façon moins sommaire des marées de l’Océan[1]. Jean le Tourneur, qui a lu Albert le Grand et qui le cite, indique exactement de quelle manière le flux et le reflux suivent le cours de la Lune ; il n’a, en revanche, que des idées fausses sur la loi suivant laquelle varie, au cours d’une année, l’amplitude de la marée.

Il se demande, comme on avait accoutumé de se le demander à Paris, durant le xive siècle, « si c’est par sa lumière que la Lune meut la mer ou par quelque influence distincte de la lumière. ». La solution de ce doute est conforme à celle que donnait l’école de Buridan : « La lumière, en échauffant et dilatant les eaux de la mer, contribue à cet effet ; elle est accompagnée, toutefois, d’une certaine influence qui réside en la Lune et qui est plus déliée (spiritualior) que la lumière même ; elle n’est point, en effet, empêchée par les obstacles qui arrêtent la lumière ; grâce à cette influence, la Lune a domaine sur les choses humides et capacité de les mouvoir. »

Ce domaine de la Lune sur les choses humides se manifeste par de prétendues observations qu’on acceptait sans discussion dès le temps d’Aristote. « Les os des animaux contiennent

  1. Joannis Vehsoris Op. laud., lib. II, quæst. III ; éd. cit., fol. XX, col. d, et fol. XXI, col. a et b.