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L’UNIVERSITÉ DE PARIS AU XVe SIÈCLE

Notre auteur ne prend même pas soin de déclarer que cette impossibilité naturelle n’est pas une contradiction et, donc, que la toute-puissance de Dieu pourrait créer des mondes multiples ; il ne paraît pas se soucier de l’anathème porté par Étienne Tempier contre ceux qui, au Créateur, dénieraient ce pouvoir,


C. Le vide et la nature commune


Bien que le traité Du Ciel ne lui donne pas occasion de raisonner du vide d’une manière spéciale, Jean le Tourneur y fait une allusion ; et cette allusion nous montre qu’il concevait la nature universelle à la façon de Roger Bacon.

Le « doute » qu’il examine est le suivant[1] :

« Un corps simple donné ne possède-t-il, selon la nature, qu’un seul mouvement simple ? » De ce doute, voici la solution :

« À un corps simple donné correspond une seule forme simple, et le mouvement résulte de la forme, car il est un effet de la nature et, dans cette nature, le rôle principal appartient à la forme plutôt qu’à la matière,

» Nous disons, remarquez-le : selon sa forme propre, car un même corps simple peut fort bien se mouvoir de deux mouvements différents, dont un résulte de sa forme propre et l’autre de la forme d’autrui ; le feu, par exemple, se meut de mouvement rectiligne par suite de sa forme propre et de mouvement circulaire par suite de la forme du Ciel ; en outre, il peut descendre pour remplir un espace vide, selon la nature commune.

» On me demandera si la nature propre et la nature commune sont une même nature.

» Je répondrai que, dans un même corps, elles sont, en réalité (secundum rem), la même nature et que, pour la seule raison (secundum rationem), elles diffèrent l’une de l’autre. En tant que la nature d’une chose est ordonnée à l’existence particulière et à la conservation de cette seule chose, on dit qu’elle est une nature propre. Mais en tant qu’elle est ordonnée au bien et à la conservation de tout l’Univers dont cette chose fait partie, on l’appelle nature commune. »

On comprend sans peine pourquoi Le Tourneur prend ces précautions.

  1. Joannis Versoris De Cælo et Mundo, lib. I, quæst. III, dubium primum ; éd. cit., fol. III, col. d et fol. IIII, cbl. a.