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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

Dans le mouvement des corps graves ou légers, la succession provient soit de la résistance du milieu, soit de la résistance du mobile intrinsèque qui est la matière du corps grave ou léger ; il ne semble pas, en effet, que la succession puisse provenir d’un moyen autre que ces deux-là. Mais dans le mouvement d’un corps grave ou léger, la succession ne provient pas de la résistance du mobile intrinsèque au moteur, c’est-à-dire de la résistance que la matière du corps grave, matière que le Commentateur regarde ici comme la chose mue, opposerait à la forme qui est le moteur ; en effet, la matière d’un grave inanimé ne saurait être, par elle-même, le sujet propre et naturel d’un lieu (ubi) opposé au lieu vers lequel meut la forme, la force du grave ; or rien ne peut proprement résister à un moteur qui meut vers un certain lieu, si ce n’est une chose qui possède un lieu opposé à celui-là (nihil autem proprie resistit motori moventi ad aliquod ubi, nisi illud quod habet ubi oppositum)

» En un corps inanimé grave ou léger, il n’y a donc rien qui résiste au moteur, car, en ce corps, il n’y a rien qui soit le sujet propre et naturel d’un lieu opposé [à celui vers lequel tend le moteur] ; il n’y a donc, de la part du mobile même, aucune résistance au moteur ; partant, s’il se mouvait dans le vide, il n’y aurait aucune succession dans son mouvement ; ce mouvement se ferait en un néant de temps (in non tempore). »

On ne saurait raisonner plus exactement selon les principes de la Dynamique péripatéticienne. Pas de mouvement’successif là où le moteur ne rencontre aucune résistance ; et pas de résistance qui ne soit celle d’un corps mû par violence, d’un corps qui a un certain lieu naturel et que le moteur entraîne en un sens opposé à ce lieu.

Jean de Jandun maintient donc, contre Ibn Bâdjâ et Thomas d’Aquin, les principes de la Dynamique péripatéticienne ; partant, il en maintient les conséquences et, en particulier, celle-ci[1] : Si un même grave tombe successivement, en des milieux divers, il y prend des vitesses qui sont en raison inverse des densités de ces milieux.

La justification de cette proposition fournit, d’ailleurs, à notre auteur, l’occasion de répéter ce que, déjà, nous lui avons entendu dire :

« Sa forme substantielle, dont résulte la gravité, une fois

  1. Joannis de Janduno Op. laud., lib. IV, quæst. XII : An velocitas aunius motus ad alterius velocitatem sit secundum medii ad medium spissitudinem et tennitatem, sive grossitiem et subtilitatem attendenda.