Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VIII.djvu/503

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
500
LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

« Venons aux modernes. Nicole Oresme fut, à la fois, un philosophe très pénétrant et un mathématicien très habile ; rempli d’indignation contre la superstition astrologique, il l’attaque dans un commentaire qui lui est particulièrement consacré ; rien, à son gré, n’est plus trompeur, rien n’est plus détestable ; il n’est pas de peste plus redoutable pour tous les ordres de gens, mais surtout pour les princes. »

Nicole Oresme n’a empêché ni les princes ni les gens des autres ordres d’accorder aux duperies des astrologues une stupide confiance ; mais il a profondément transformé, au sujet des jugements d’Astronomie, l’opinion des grandes esprits de l’Université et de l’Église ; il suffit, pour s’en convaincre, de comparer le langage de Jean Gerson à celui de Saint Thomas d’Aquin, le Trilogium Astronomiæ theologizatæ à la Summa contra Gentiles, Nicole Oresme n’a pas ruiné la superstition astrologique, mais Jean Pic de la Mirandole le peut saluer comme le premier des modernes qui ait mené la bataille contre cette doctrine mensongère, et dans ses admirables Disputationes, le Comte de Concordia se reconnaît le continuateur de l’Évêque de Lisieux. Assurément, Nicole Oresme n’avait perdu ni son temps ni sa peine.

Et maintenant, le lecteur posera peut-être cette question : Les plus ardents adversaires de l’Astrologie n’ont jamais été jusqu’à dénier aux astres toute influence sur les choses d’ici-bas ; Nicole Oresme et Jean Gerson leur accordent, à tout le moins, une influence générale ; n’est-ce pas une dernière et fâcheuse concession à l’Astrologie ?

À Dieu ne plaise qu’ils eussent tout renié de l’Astrologie ! Car sous ses monstrueuses erreurs, elle renfermait le germe d’une grande et féconde vérité.

Nous avons entendu maintes fois les docteurs de la Scolastique, de Guillaume d’Auvergne à Thémon le fils du Juif, comparer l’influence des astres sur les choses d’ici-bas à celle que la pierre d’aimant exerce sur le fer pouf l’attirer. Or n’admettons-nous pas, nous aussi, que les astres attirent à distance tous les corps de la terre comme l’aimant attire le fer ? Dans notre doctrine de l’attraction universelle, les maîtres du Moyen-Age salueraient, n’en doutons pas, l’ultime conséquence de leurs suppositions sur l’influence des astres. Cette opinion, d’ailleurs, était bien celle des premiers adversaires de la gravitation. Lorsque Képler esquissait les premiers linéaments de cette hypothèse, lorsque Newton en faisait sortir les Principes