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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

pour former des jugements, des observations et des déterminations d’une extraordinaire multiplicité sont requises. »

Il y a intérêt à voir comment dans son Trilogium, Gerson fait produire à certaines de ces racines le développement qu’elles comportent.

« Le Ciel, dit-il[1], est seulement une source d’influence générale et éloignée… Certains astrologues, tel Al Kindi dans son Traité des rayons, se sont trompés en supposant que les choses d’ici-bas n’exerçaient aucune action, qu’elles se bornaient à transmettre les influences rayonnantes du Ciel. »

À l’influence générale du Ciel, chacune des choses d’ici-bas ajoute sa collaboration particulière. Comment le fait-elle ? Pour répondre à cette question, le Chancelier de l’Université emprunte à Saint Augustin sa théorie des raisons séminales. « Le Ciel, dit-il[2], peut produire ici-bas, non seulement des effets différents, mais encore des effets contraires et opposés, par suite de la diversité de la matière qui est remplie de raisons séminales. »

Il prend également à Saint Augustin la discussion par laquelle il prouve que des dispositions célestes presque identiques peuvent produire, en ce Monde, des effets fort différents ; conçus au même moment, nés presque en même temps, deux jumeaux peuvent n’avoir, entre eux, aucune ressemblance.

Albert le Grand, Saint Thomas d’Aquin, Gilles de Rome admettaient, eux aussi, que les mêmes causes célestes ne produisent pas toujours ici-bas les mêmes effets ; cet « indéterminisme », ils l’attribuaient au désordre de la matière première, principe capricieux, rebelle à toute loi fixe, Gerson n’est pas obligé de faire appel à ces caprices de la matière et de nier le déterminisme dans les circonstances mêmes ou aucune volonté libre n’intervient ; mais avec les causes célestes, il fait concourir l’action des causes qui résident au sein de la matière, l’action des raisons séminales ; si, sous des influences célestes identiques, se forment deux jumeaux constitués de manière toute différente, c’est que leurs raisons séminales étaient différentes. « Ainsi voyons-nous les règles que l’Astrologie formule au sujet des vents, des plantes, et des autres effets naturels, recevoir tantôt des confirmations et tantôt des démentis grâce à la

1. Joannis Gerson Trilogium Astronomiæ theologizatæ, prop. VI (Joannis Gerson Opéra, éd. cit, , XX, E, vol. ï, fol. sign. ee, col. d).

2. Joannis Gerson Op. laud., prop. VII ; éd. cit., XX, F, vol. I, fol. sign. ee, col. d, et fol. sign. ee 2, col. a.

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