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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

devant, et il se tue. Item est près semblable d’un alquimien ; car quant il a fait de l’or une fois ou deux, il est après si aléchiez en tel art qu’il ne s’en peut tenir, combien qu’il faille, et en devient povre et meschant. Et lui vaulsist[1] mieux qu’il eust failli dès le commencement, et eust eu meilleur fortune pour lui. Item aussi comme les alquimiens sont communément déceuz et infortunez, aussi sont ceulx qui se confient en divinacions, et à bon droit, car ilz emprennent folement à savoir les uns les secrez de nature, les autres les secrez de fortune. » On ne refusera certes pas à Maître Nicole Oresme le titre de pénétrant observateur.

Il n’oublie pas que la confiance aux jugements astrologiques, qui est folie pour tout homme, est folie particulièrement dangereuse pour ceux qui ont le soin de la chose publique. Aussi va-t-il dire avec précision comment le prince se doit comporter à l’égard de la science des astres[2] :

« Il me semble que la véritable estude du prince doit estre gouverner son peuple par la science de politiques et par bon conseil de pluseurs gens loyaulx qui, à la manière des anciens Romains, pensoient plus du bien commun que d’acquérir richesses et vains honnours. À telle chose doit le prince veiller et labourer.

» Mais bien est vérité que, aussi comme l’arc vault moins d’estre longuement tendu, il convient que le prince ait aucune récréacion et aucun honneste esbat qui lui fait repos. Et quant il est de noble engin, à lui apartient bien savoir de Astrologie et d’autres bonnes sciences ou aucunes bonnes conclusions, si comme de la disposicion du Ciel, du Monde, et du nombre et de la qualité, de la quantité, de la figure et des mouvemens des corps du Ciel, et de telles choses qui sont bonnes et dilettables à savoir.

» Et les doit le prince aprendre par oïr dire, par simple narracion, non pas par curieuse inquisicion, car il ne doit pas savoir les démonstracions de Ptholomée, ne travailler à enquérir des planètes, ne estudier astralabes, ne tèles choses mesmement, où est-ce[3] que ce lui seroit paine, ou que il en seroit en

  1. Il lui eût valu.
  2. Nicole Oresme Op. laud., ch. XIII ; ms. cit., fol. 23, vo, et fol. 24, ro. — Oresme avait tenu le même langage au sixième chapitre de son Tractatus contra astronomos judiciarios (Bibliothèque Nationale, fonds latin, ms. no 14580, fol. 103, col. a.
  3. Le ms. porte ; els.