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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

d’ici-bas, certaines actions et influences ; mais il admet aussi que ces actions sont purement physiques, que les corps seuls sont soumis à ces influences. Toutes les fois, donc, que l’Astrologie se propose seulement de déterminer les lois suivant lesquelles les étoiles fixes et les astres errants émeuvent les corps, il lui paraît que cette science est, de soi, possible ; il se contente de la déclarer si difficile et si peu connue que ce qu’on en sait ne saurait guère être d’usage.

Tout autre est son sentiment dans les circonstances où l’Astrologie prétend deviner les futurs contingents et prévoir des événements dont la réalisation dépend de la volonté humaine. Dans ce cas, avec toute l’Église, il condamne formellement une prétendue science qui nie le libre arbitre humain et pose le fatalisme universel.

« Ce me semble, dit-il[1] grant mocquerie et grant abusion de croire que un astronomien, géomancien ou autres sachent par art dire certaineté des choses à venir, qui sont fortunes et en la possesce[2] de volenté muable. Et il ne saura pas dire quel temps il fera demain, ne la mutacion de l’air et des vens ; et toutes voies telles choses [ne] aviènent aux voels[3] de fortune, et en suivent du tout Fin fluence du Ciel, et ne pevent estre empeschées, fors tant seulement par miracle divin.

» Item, se un effect fortuite estoit sceu de cellui à qui il doit avenir, lequel effect despent de la franche volenté, je demande : Ou il le peut empeschier [ou non]. Se il ne peut estre empeschiez, il s’ensuit que toutes choses viennent de nécessité, et que pour néant met-on peine à le savoir. Et [se] il peut estre empeschié, doneque n’estoit-il pas seu. Et pour ce, il semble impossible à savoir telz choses, déterminéement et certainement, par art humain…

» Et est assavoir que, qui considère bien les livres des jugemens, il voit que c’est leur oppinion que tout aviengne de nécessité, combien qu’ilz dient aucunes fois le contraire. Et ce tient expressément Julius Firmicus[4] en son livre où il comprent presque toute Astrologie judicative de fortune. Et toutes voies, ceste oppinion est faulse et contre la foy et contre philosophie, et a esté, de tous temps et en toutes loys, dampnée et réprouvée. »

A l’égard des principes de l’Astrologie, Oresme ne formulera

  1. Nicole Oresme, Op. laud., ch. XI ; ms. cit., fol. 17, vo, et foi. 18, ro et vo.
  2. possesce = possession, pouvoir ; le ms. porte : posce.
  3. aux voels = au gré ; le ms. porte : voles.
  4. Le ms. porte : fermatus.