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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

hors d’eux ; toutes ces illusions proviennent du vice des organes intérieurs des sens, de la corruption éprouvée par la perception interne, par l’imagination ou par le jugement ; la raison en est dans un abcès du cerveau ou dans quelque autre cause ; parfois, aussi, c’est le cœur qui en est l’origine. »

Selon Nicole Oresme, ces hallucinations se doivent expliquer par la « réclusion des esprits » qui ont abandonné les organes externes de la perception pour se rassembler dans les organes internes.

« En ces personnes, cette réclusion des esprits se fait, soit naturellement, soit par suite d’une maladie[1]. Quelque chose d’analogue se peut produire en un homme qui y est naturellement disposé et qu’une fausse et sotte crédulité a frappé de terreur ; c’est précisément ce que font les magiciens ; c’est là, comme nous l’avons dit tout à l’heure, une des racines de leur art. De même que le sang coule vers le membre qui est blessé et laisse exangue les autres parties du corps, de même, vers l’organe du jugement, troublé par la terreur ou lésé de quelque autre manière, les esprits se précipitent, laissant les organes extérieurs frappés d’une sorte de stupeur.

» Ceci se peut encore prouver par le signe que voici. Les magiciens prennent l’enfant où la personne de qui ils prétendent, par leur art, tirer des réponses. Ils l’obligent à tenir ses regards fixés sur quelque objet lisse et poli, par exemple sur le miroir que forme une carafe de verre, sur une épée brillante ou simplement sur ses ongles, de telle sorte que le regard puisse être répercuté par cet objet ; c’est afin que la fausse crédulité, secondée par cet obstacle extérieur, oblige les esprits qui servent à la vue (spiritus perspicui) à rebrousser chemin vers les puissances intérieures, à fortifier la réflexion ou l’imagination, ce qui déterminera une apparition. »

« Que cela se fasse par réclusion des esprits[2], voici qui le marque : Il arrive souvent que des enfants ainsi rangés en cercle et fixant leurs regards sur un objet brillant, aussitôt qu’ils ont aperçu la vision, deviennent aveugles, soit d’une manière absolue, soit pour un temps… La cause en est que, par cette action, la faculté visuelle est privée de ses esprits qui ont reflué vers l’intérieur. »

Par ces citations qu’on pourrait étendre bien davantage,

  1. Nicole Oresme, loc. cit. ; ms. cit., fol. 53, col. d, et fol. 54, col. a.
  2. Nicole Oresme, Op. laud., cap. XXX : Argumentatur adidem ex sequentibus et concordantibus signis. Ms. cit., fol. 54, col. a.