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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

à son tour, lui opposa un démenti et dit : Non pas ! Il en est d’incommensurables. Le sujet du débat bien posé, Apollon ordonna que chacune des deux parties défendît sa cause par les raisons qui lui appartiennent. Alors, tandis que j’écoutais, plongé dans l’étonnement l’Arithmétique parla la première. »

Ce qu’invoqua l’Arithmétique, ce furent les raisons chères aux Pythagoriciens et aux Platoniciens, celles qui, dans l’existence de rapports commensurables entre les durées des mouvements célestes, voient une condition de la beauté et de la bonté de l’Univers ; d’ailleurs, contre la thèse opposée à la sienne, que la Géométrie avait charge de défendre, elle n’omit point de faire valoir cette considération : « S’il en est ainsi, nul ne pourra jamais connaître d’avance et prédire la conjonction ou l’opposition des planètes ; nul n’en pourra prévoir les effets ; partant, l’Astrologie tout entière demeurera cachée ; elle nous sera à jamais inconnue…

» Alors, à l’encontre de l’Arithmétique, la Géométrie se mit à défendre et soutenir la thèse opposée ; voici quel fut son discours :

»… Si tous les mouvements du Ciel sont commensurables entre eux, il faudrait nécessairement, dans le cas où le Monde durerait toujours, que des mouvements semblables, que des effets semblables, se répétassent une infinité de fois…

» Il est donc, semble-t-il, plus heureux et plus parfait, il convient mieux à la Divinité que le même sort ne soit pas une seconde fois apporté aux êtres de la terre, mais que par des configurations stellaires toujours nouvelles et différentes de celles qui les ont précédées, des effets variés se trouvent produits… Et cela n’arriverait point si les mouvements célestes n’étaient incommensurables.

» Il ne faut pas, à ce sujet, se fier aux philosophes ni aux poètes, car, on l’a dit, ils ne s’accordent point entre eux touchant la durée de cette fameuse Grande Année ; en outre, ce qu’ils ont dit ne peut subsister avec les faits que les astronomes ont observés jusqu’à ce jour.

» Peut-être, d’ailleurs, ce que je vais dire fera-t-il croire plus volontiers à cette incommensurabilité.

» Si les mouvements des Cieux sont commensurables entre eux, a-t-on précédemment démontrés, le Soleil et la Lune ne pourront, pendant l’éternité tout entière, se trouver conjoints ou opposés qu’en un petit nombre de points du Ciel ; il en sera