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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

Les durées des circulations célestes sont-elles incommensurables entre elles ? Oresme déclare que c’est vraisemblable ; il eût été bien en peine d’affirmer que c’est vrai. Ces durées ne sont déterminées que par l’observation ; or, si précise qu’on la suppose, toute observation n’est qu’approchée ; à ses yeux, deux évaluations numériques ne passent plus pour distinctes si leur différence tombe au-dessous d’une certaine grandeur ; comment, dès lors, pourrait-il dire si deux durées de révolution sont, entre elles, commensurables ou incommensurables ? Un nombre incommensurable étant donné, ne peut-on toujours trouver une infinité de nombres commensurables qui en diffèrent aussi peu qu’on veut ? Toujours, donc, Oresme pourra prétendre que les durées de deux révolutions célestes n’admettent point de commune mesure ; mais toujours, aussi, l’astrologue pourra lui riposter qu’elles en ont une.

Que les durées des révolutions célestes soient commensurables ou incommensurables, qu’importe, d’ailleurs, à l’astrologue ? Si elles sont incommensurables entre elles, jamais, c’est entendu, les astres ne reprendront exactement la configuration qu’ils ont prise une première fois ; mais au bout d’un temps suffisant, ils dessineront une constellation qui différera aussi peu qu’on voudra de la constellation autrefois formée ; sans être, dans la seconde circonstance, rigoureusement identiques à ce qu’ils étaient dans la première, les effets que ces astres produisent ici-bas se ressembleront d’aussi près qu’on le désirera, de si près qu’aucun observateur ne les pourra distinguer ; n’estce pas, pour l’astrologue, tout comme s’ils se reproduisaient exactement ?

Duns Scot semblait penser qu’un examen prolongé et minutieux des mouvements célestes permettrait de dire s’il en était quelques-uns qui fussent incommensurables entre eux. Oresme avait, des vérités mathématiques, un sens trop aiguisé pour donner dans la même illusion ; il nous le va dire très clairement.

Aristote, au Traité du Ciel, démontre[1] que toute chose qui a été engendrée prendra nécessairement fin ; que toute chose, au contraire, qui n’a point eu commencement durera éternellement. Dans le commentaire au Traictié du Ciel qu’il a rédigé en français, Oresme se propose de contredire à l’argumentation du

  1. Aristotelis De Cælo lib. I ; cap. XII. (Aristotelis Opera, éd. Didot, ; éd. Bekker, vol. I, pp. 281-283.)