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LES ADVERSAIRES DE L’ASTROLOGIE

le Monde par sa perpétuelle raison. Qu’aucun autre n’aille donc juger à la légère de ce qui est à ce point d’incertitude. »

Mais cette condamnation de l’Astrologie judiciaire ne va-t-elle pas, du même coup, frapper ce qu’Oresme appelle la Science astrologique, c’est-à-dire l’Astronomie ? Parer à un semblable effet est l’objet de la conclusion qui termine son livre, et dont voici la traduction :

« Vingtième conclusion. Ce qui précède ne doit amener personne à mépriser la Science de l’Astrologie ou à la rejeter, non plus qu’à désespérer d’elle.

» Aristote dit, en effet, au second livre Du Ciel qu’il vaut mieux savoir peu des nobles choses que beaucoup de ce qui est sans noblesse ou vil. Or les corps célestes sont, parmi les corps, les plus nobles. Puis donc qu’aucun homme n’en peut, à présent, acquérir la science, il est fort bon de réfuter les erreurs [qui ont cours à leur sujet], non, comme les ignorants, par un frivole verbiage, mais d’une manière scientifique, à l’aide de solides démonstrations. Quant aux propositions vraies ou probables qui restent [après l’élimination de ces erreurs], il est fort bon de les goûter avec sobriété, afin que la perfection des œuvres visibles de Dieu manifeste la grandeur du Créateur. Car il est écrit : « J’ai médité sur toutes tes œuvres et je méditais sur ce que tes » mains ont fait. » Il est encore écrit : « Les cieux sont les œuvres de tes mains. » Et ailleurs, il est dit : « Les cieux racontent la gloire de Dieu », etc.

» Au bon astronome, en effet, il suffit de juger presque exactement (prope punctum) des mouvements et des aspects des corps célestes, et, s’il ne perçoit pas davantage, de s’en remettre au juge de toutes choses. Celui qui veut chercher une plus grande exactitude ou qui s’imagine savoir davantage, travaille en vain et assomme son propre esprit ; ou bien, par l’examen des constellations, il veut prévoir des pronostics relatifs aux effets et aux événements ; de cela, nul ne doit parler, si ce n’est d’une manière fort générale et dubitative ; mieux vaut retenir sa langue au sujet de ces choses qui sont dans la main de Dieu, que connaît seul Celui aux yeux de qui tout est à nu et à découvert. »

Au milieu du respect universel dont l’Astrologie se voyait entourée, l’attaque que lui porte Nicole Oresme a la soudaineté et l’éclat d’un coup de foudre dans le silence de la nuit.

Il faut bien le reconnaître cependant ; contre cette attaque, la parade était aisée.