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LES ADVERSAIRES DE L’ASTROLOGIE

L’objection qui suppose incommensurables entre elles les durées des mouvements célestes était, sans doute, de celles qu’on opposait fréquemment aux astrologues ; on le devine au ton de la riposte qu’Henri Bâte lui adresse.

Jean de Duns Scot savait également que cette objection peut être dressée contre la théorie de la Grande Année.

Le Docteur Subtil rappelle, en ces termes, comment, de son temps, on formulait cette théorie[1] :

« Au XIIIe chapitre du XIIe livre De la Cité de Dieu, Saint Augustin rapporte l’opinion de certains philosophes ; ces philosophes disaient que les mêmes choses revenaient suivant les cycles des temps ; on leur attribue cette pensée : Après trente-six mille ans, les mêmes choses reviendront. La raison qu’ils invoquaient étaient la suivante : Lorsque la cause redeviendra la même, l’effet, lui aussi, redeviendra le même ; or, après ce temps, tous les corps célestes reviendront à la même situation ; si l’on admet, en effet, cette supposition de Ptolemée, dans l’Almageste, que le Ciel étoilé se meut d’un degré en cent ans, en sens contraire du mouvement diurne, il en résulte qu’il accomplira en trente-six mille ans son mouvement d’Occident en Orient. »

Après avoir rappellé quelles objections Saint Augustin faisait valoir contre ce retour périodique des choses, Duns Scot poursuit en ces termes :

« On peut aussi réfuter cette opinion en réfutant la raison qu’elle invoque. Qu’on prouve qu’un certain mouvement céleste est incommensurable avec un autre mouvement céleste ; cela peut être prouvé ; [cela aura lieu, par exemple] si la longueur sur laquelle se fait le premier mouvement est incommensurable avec la longueur que parcourt le second, et si les deux mouvements se font avec la même vitesse ; jamais, en ce cas, tous les mouvements célestes ne reviendront au même état du Ciel. Cette supposition de l’incommensurabilité des mouvements n’a rien, d’ailleurs, qui soit contraire à la continuité du mouvement continu ; en effet, si deux mobiles se mouvaient [avec la même vitesse] l’un sur le côté d’un carré et l’autre sur la diagonale, ces deux mouvements seraient incommensurables ; et jamais, lors même qu’ils dureraient éternellement, ils ne ramèneraient les deux mobiles à une même situation. Mais

  1. Joannis Duns Scoti Scriptum Oxoniense, lib. XIV, dist. XLIII, qæst. III, hic sciendum est… Sur cette façon de présenter la théorie de la Grande Année, voir : Première partie, ch. XIII, § V ; t. II, pp. 214-223.