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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

sophes chrétiens gardent-ils, à l’égard de l’art judiciaire, l’attitude qu’ils avaient prise avant ces condamnations ; ils accordent libre pratique à cet art, pourvu qu’il s’engage à laisser inviolée la liberté de l’homme. Ainsi fait un Duns Scot, ainsi fait un Thémon.

Mais au temps de Thémon, le fils du Juif, voici que l’Astrologie rencontre un adversaire déterminé en la personne du prudent et audacieux Nicole Oresme. Ce n’est pas sur le terrain de la Théologie que Nicole Oresme combattra l’art judiciaire ; dûment autorisée lorsqu’il s’agit d’imposer des bornes à l’usage de cet art et de lui interdire toute atteinte au libre arbitre, la Théologie n’a aucun pouvoir pour contester les principes mêmes de la divination par les astres. Ces principes, c’est au nom des mathématiques qu’Oresûie va les attaquer ; il dressera contre eux une objection déjà vieille, mais à laquelle il redonnera une nouvelle vigueur.

Au fond de tous les aphorismes que l’Astrologie formule touchant les conjonctions, les oppositions, les quadratures, les triplicités, gît cet axiome : Toutes les fois qu’un, deux ou plusieurs astres reviennent à la même disposition par rapport au Ciel suprême, ils exercent ici-bas les mêmes actions. Or que resterait-il de cet axiome si deux astres ne pouvaient jamais prendre deux fois, à l’égard du Ciel suprême, la même situation ? Que les deux astres soient deux sphères parfaites, comme tout le monde l’admet’ ; que leurs centres décrivent des trajectoires de figures quelconques, mais fixes toutes deux à l’égard de la dernière sphère ; si les durées de révolution de ces deux astres sont incommensurables entre elles, on ne verra jamais ces deux planètes reprendre, au rapport de l’ordre suprême, une disposition qu’ils avaient prise une première fois. Voilà, dès lors, privées de tout sens les règles diverses que l’Astrologie formulait ausujet de ces deux planètes.

Lorsqu’Oresme s’empara de cette objection pour ruiner les fondements de l’Astrologie, elle n’était, avons-nous dit, point neuve. Nous ne saurions nommer le premier mathématicien qui ait émis cette supposition : Le rapport des durées de deux révolutions célestes peut être un nombre irrationnel, un nombre sourd. Nous nous bornerons à présenter ici les plus anciens textes où nous ayons rencontré quelque allusion à cette hypothèse.

Abraham Aven Ezra avait, entre autres écrits astrologiques, composé un Traité des révolutions, appelé Traité du Monde ou