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L’ASTROLOGIE CHRÉTIENNE

peut mettre empêchement à un tel effet, ils pourront savoir qu’il ne sera soulevé que telle quantité de matière, et de telle façon ; ils peuvent savoir si des vents la viendront dissiper, dans quelle direction et en quel lieu elle sera dissipée, en quel lieu elle tombera.

» Mais, de toutes ces causes, les astrologues n’ont pas une pleine connaissance ; ils ne sauraient donc porter, de ces effets, un jugement plein, parfait et assuré. Le concours de tant de causes, en effet, est ici nécessaire, qu’il est difficile de juger de semblables conséquences. »

Ce langage contredit directement à celui de Gilles de Rome ; mais, en même temps, il contredit à l’une des idées essentielles d’Albert le Grand, de Saint Thomas d’Aquin, de Roger Bacon ; tous ces auteurs avaient admis la doctrine de Galien et des Néoplatoniciens ; à leur gré, la matière première est un principe d’irrégularité et de désordre ; aussi les corps qui en sont issus se montrent-ils incapables de se plier sans cesse aux lois parfaitement fixes d’un déterminisme rigoureux ; les mêmes causes célestes ne produisent pas toujours ici-bas les mêmes effets ; même en l’absence de toute âme, il y a du caprice dans le monde des corps sublunaires.

C’est ce que n’admet point l’auteur Scotiste ; à son gré, un déterminisme inviolable gouverne le monde des corps ; qui connaîtrait parfaitement les causes célestes pourrait annoncer sans craindre aucun démenti, et dans le moindre détail, les effets qu’elles produisent ici-bas sur les êtres inanimés ; si les prédictions astrologiques n’ont ni cette certitude nu cette précision, il en faut accuser l’ignorance des astrologues, non les caprices de la matière.

Touchant l’action que les astres peuvent exercer sur les êtres animés, le Pseudo-Duns Scot professe la même doctrine que Saint Thomas d’Aquin[1].

« Les organes des sens, qui sont des corps mixtes, peuvenLêtre, par les astres, modifiés et altérés… Par là, les astres peuvent avoir, d’une certaine façon, quelque action sur l’intelligence ; en effet, si l’organe du sens éprouve quelque désordre dans son opération, il en résulte un désordre pour l’intelligence ; c’est ainsi que, chez les fous furieux et les lunatiques, l’imagination est pleine de confusion. Par là, aussi, un astre peut être cause d’un désordre dans la volonté ; il peut,

  1. Joannis Duns Scoti Op. laud., quæst. cit., art. IV ; éd. cit., fol. 67, col. c et d.