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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

de nos pensées comme des modifications de notre corps, car l’intelligence qui meut les Cieux peut agir directement sur notre intelligence. Cette doctrine, voici, comment Étienne Tempier la formule pour l’anathématiser :

74 [76][1]. « L’intelligence qui meut le Ciel influe sur l’âme raisonnable comme le corps du Ciel influe sur le corps humain. »

Tous les Scolastiques admettent que, sous l’influence des étoiles, les divers éléments peuvent se mélanger en une telle proportion qu’il en résulte un être vivant ; ainsi s’explique, à leur avis, la génération spontanée d’êtres vivants au sein des corps en putréfaction. Mais si la génération de tels animaux n’excède pas le pouvoir des astres qui sont aptes à faire sortir, des puissances de la matière, une âme végétative ou sensitive, un homme ne pourrait être produit de la sorte ; son âme raisonnable n’est pas tirée des puissances de la matière ; les corps célestes ne suffisent pas à la produire. C’est ce qu’affirment les théologiens de Paris en condamnant la proposition suivante :

188 [82] « Quod si in aliquo humore, virtute stellarum, deveniretur ad talem proportionem cujusmodi proporiio est in seminibus parentum, ex illo humore posset generari homo ; et sic homo posset sufficienter generari ex putrefactione. »

Il s’agit maintenant de soustraire le libre arbitre humain au fatalisme despotique des. astres ; et pour cela, il convient, d’abord, d’affirmer qu’il y a.de la contingence dans le Monde, et des agents capables de choisir entre les deux alternatives, également possibles, qui constituent toute contingence ; cette affirmation, elle résultera de l’anathème qui frappe les deux propositions suivantes :

21 [102] « Rien n’est l’effet du hasard ; tout arrive d’une manière nécessaire ; tous les événements futurs qui seront, ce sont des événements qui arriveront par nécessité ; ce qui ne sera pas, c’est ce qui est impossible ; rien ne se fait d’une manière contingente, pourvu que l’on considère toutes les causes. — Erreur, car le concours des causes est, par définition, chose fortuite, comme le ditBoëce au livre De la consolation, ch. XXI. »

160 [101] « Il n’y a pas d’agent qui soit indifféremment apte à deux actions opposées. Tout agent opère dans un sens déterminé. — Quod nullum agens est ad utrumlibet ; imo, determinatur. »

Voici, d’ailleurs, une proposition qui résume les considérations

  1. Le premier numéro d’ordre indique le rang de la proposition dans le décret de 1277 ; le second, inscrit entre [ ] indique le rang de cette même proposition dans la liste classée par le R. P. Mandonnet (Op. laud., pp. 175-191).