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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

sieurs reprises, nous avons entendu formuler par Saint Thomas d’Aquin. Non seulement l’âme libre de l’homme n’est pas soumise à la puissance fatale des astres, mais les corps sublunaires eux-mêmes se soustraient, dans une certaine mesure, à cette fatalité ; la matière qui est en eux est rebelle aux lois d’un déterminisme absolu.

Pour établir que le Monde n’est pas en entier soumis à la nécessité d’un Destin régi par les astres, Albert le Grand n’a pas voulu faire appel à l’autorité des Pères de l’Église ; il s’est contenté d’invoquer le témoignage des philosophes profanes et, en particulier, d’Aristote. C’est aussi ce que fait l’auteur d’un traité anonyme, intitulé : Tractatus de necessitate et contingentia causarum, qui fut sans doute écrit vers le même temps que les Quinze problèmes de l’Évêque de Rastisbonne.

Ce traité, que le R. P. Pierre Mandonnet a publié, commence en ces termes[1] :

« Celui qui considère et comprend l’enseignement d’Aristote voit clairement que l’intention de ce philosophe est d’affirmer cette vérité : Tout n’arrive pas d’une manière nécessaire. Au sixième livre de la Métaphysique, en effet, il dit que certaines causes une fois posées, leurs effets n’en résultent pas toujours ; il traite la même question au IXe livre ; il le dit aussi, d’une manière évidente, au livre Περὶ ἑρμηνείας ; c’est donc chose qu’il faut accorder. »

Notre auteur va donc s’attacher à établir par la seule Philosophie ce qu’Albert le Grand reprochait aux professeurs de Philosophie d’avoir nié.

Il rappelle[2] cette proposition d’Aristote : « Si tous les événements futurs devaient arriver d’une manière nécessaire, c’est qu’ils seraient tous les effets de causes dont l’action ne peut être empêchée. » Et son argumentation va tout entière à établir contre le déterminisme d’Avicenne, qu’il expose avec une remarquable ampleur[3], le pouvoir que nous avons de mettre obstacle, à notre gré, à l’efficace de certaines causes.

Nous n’analyserons pas ici cette argumentation fort longue et assez confuse ; il nous suffit d’avoir déterminé la position prise par l’auteur ; il se tient aux côtés d’Albert le Grand.

  1. Tractatus de necessitate et contingentia causarum. (Pierre Mandonnet Op. laud., p. 111.)
  2. Op. laud., p. 115.
  3. Op. laud., pp. 111-114.